Transition énergétique : les élus face aux défis de la participation citoyenne
Transition énergétique : les élus face aux défis de la participation citoyenne
Par Claire Legros, Jessica Gourdon
Difficile d’embarquer les citoyens dans des politiques de réduction de l’empreinte carbone, estiment des élus de tout bord, interrogés dans une étude. Pour impliquer leurs habitants, des collectivités choisissent de les associer dès la phase de financement et de les intéresser aux résultats.
Mairie de Romainville / Flickr
Rénovation thermique des bâtiments, construction de parcs éoliens ou de centrales photovoltaïques, récupération de la chaleur des eaux usées… Lorsqu’ils veulent mettre en place des mesures en faveur de la transition énergétique, les élus estiment difficile de convaincre ou d’intéresser leurs citoyens. C’est ce que rapporte une étude du cabinet Equancy, qui a interrogé un panel de mandataires de tout bord, impliqués dans ces thématiques au niveau national ou local.
Bien plus que la question des moyens financiers ou que celle des ressources humaines, la résistance de la population serait l’une des clés pour comprendre la lenteur des élus sur ce sujet. C’est ce que conclut cette étude commandée par La Poste, présentée en exclusivité à l’occasion d’une conférence du Monde sur la transition énergétique jeudi 30 novembre.
L’étude cite notamment les recours déposés par les citoyens pour interdire la construction d’éoliennes, source d’agacement des élus. « La transition énergétique, les gens sont pour en général… Mais ils font un recours dès que l’équipement est proche de chez eux. Il est vrai, en outre, que la relocalisation de la production d’énergie est un sujet nouveau, parce que ça rend cette production plus visible », estime une vice-présidente EELV d’une grande métropole.
« Partout sauf chez moi »
Une députée UDI de la région Centre résume sa problématique ainsi : « La population est sensibilisée au sujet et prête à soutenir les projets tant qu’ils ne sont pas dans son environnement immédiat. L’éolien, le voltaïque, c’est génial, mais partout sauf chez moi. C’est ce blocage-là, concret, sur le terrain, qui est le principal frein aujourd’hui. La transition énergétique est dans les esprits, mais a du mal à entrer dans les usages. (…) Le premier frein à la transition énergétique, c’est le frein humain. »
En outre, si tous les élus interrogés s’accordent sur la nécessité d’agir sur ce terrain, ces objectifs se heurtent avec d’autres, jugés plus prioritaires – comme la création d’emploi et le développement économique. La place de ce curseur dépend davantage du type de territoire que représente l’élu que de son appartenance politique.
« Franchement, il serait malhonnête de dire que l’environnement et la transition énergétique sont la priorité des habitants. Ça compte, chacun a envie de vivre dans un environnement plus sain et plus vert, mais ça arrive quand même chez nous derrière l’emploi, l’accompagnement social et la sécurité », estime un maire LR d’une ville du sud de la France.
Aussi, les bénéfices électoraux seraient peu nombreux pour les hommes ou femmes politiques qui s’engagent dans cette direction. « Un maire qui construit une piscine ou un stade, c’est visible, alors que celui qui investit dans la rénovation thermique de ses bâtiments, c’est peu visible et cela intéresse peu de monde », résume Samuel Jequier, le consultant qui a rédigé cette étude et mené les entretiens.
Cela ne veut pas dire que, pour ces élus, il ne faut rien faire. « Je ne crois pas que l’action en matière de transition énergétique apporte de grands bénéfices électoraux. Mais je pense quand même que ne rien faire, rester passif pourrait vite devenir un risque politique », remarque un député de la Mayenne.
Participation citoyenne
En renvoyant la responsabilité aux citoyens, n’est-ce pas une manière, pour ces élus, de se dédouaner d’agir sur ce sujet ? Surestiment-ils les éventuelles résistances ? Est-ce un problème de communication et d’information insuffisantes ?
Pour impliquer leurs habitants et limiter ces effets de résistance, des collectivités tentent de les associer aux projets dès la phase de recherche de financement. Et de les intéresser aux résultats. C’est le cas de la communauté de communes de la Haute Lande qui s’est lancée dans un programme d’installation de panneaux photovoltaïques.
« Détenteurs de 25 % du capital, les habitants sont directement actionnaires de la société d’économie mixte créée pour l’occasion », a expliqué Patrick Sabin, maire d’Escource et vice-président de cette communauté de communes chargée de l’environnement, lui aussi invité à la conférence du Monde. « On ne peut pas réussir la transition énergétique si elle est punitive. Dans notre projet, les habitants sont aussi intéressés aux résultats par des chèques travaux pour isoler leur logement. »
Des plates-formes d’épargne participative, comme Lendosphere, Lumo ou Enerfip, permettent d’associer des habitants dès le début dans le financement de projets photovoltaïques ou éoliens. Pour Olivier Houdaille, directeur général de Lumo, le fait d’associer les habitants dès le financement du projet entraîne sans aucun doute « une meilleure acceptation locale ».
Répondre aux rumeurs
C’est aussi l’avis de Christel Sauvage, administratrice de l’association Energie partagée. Cette plate-forme d’investissement citoyen a financé une trentaine de projets un peu partout en France depuis sa création en 2010 : panneaux solaires, parcs éoliens, chaufferies collectives, unités de méthanisation ou encore remise en état d’une petite centrale hydroélectrique.
« En étant partie prenante du projet, les habitants n’ont pas l’impression de subir. Les animations créent du lien. Cela permet d’informer, de répondre aux nombreuses rumeurs autour des énergies renouvelables. Construire ensemble un projet aide surtout à faire la part des choses entre les difficultés réelles et les positions irrationnelles ou de principe. »
Face aux peurs et aux résistances, la transition énergétique représente donc un défi démocratique autant qu’écologique. « On est à contre-courant du système productiviste et consumériste, donc c’est très difficile de sortir du confort et de ses habitudes », analyse Jo Spiegel, maire de Kingersheim, ancien membre du Parti socialiste.
Pour que cela marche, il est absolument nécessaire, selon lui, « d’engager une transition démocratique. Vous êtes en permanence dans des contestations, des résistances. Par exemple, sur l’éclairage public. L’éteindre la nuit se heurte au sentiment d’insécurité. J’essaie par la démocratie participative de placer les citoyens face à leur autonomie et leur responsabilité. » La commune a d’ailleurs prévu d’organiser en 2018 un référendum pour choisir entre le climat et le sentiment d’insécurité. Longs débats en perspective.