« Les Gardiennes » : Xavier Beauvois a le mal d’un pays
« Les Gardiennes » : Xavier Beauvois a le mal d’un pays
Par Jacques Mandelbaum
Le cinéaste adapte de manière lyrique et un brin compassée le roman d’Ernest Pérochon, qui avait déjà inspiré Henri-Georges Clouzot.
Roman d’Ernest Pérochon paru en 1924, Les Gardiennes inspira au cinéaste Henri-Georges Clouzot l’idée de l’adapter, lui dont le père, éditeur à Niort, publia, du même auteur, Nêne, prix Goncourt 1920. Resté sans suite, le projet est aujourd’hui mené à bien par Xavier Beauvois, qui signe avec lui, tranquille, son septième long-métrage en vingt-cinq ans de carrière. Œuvre oubliée d’un écrivain qui ne l’est pas moins (Ernest Pérochon succéda, pour le Goncourt, à Marcel Proust, récompensé pour A l’ombre des jeunes filles en fleurs), gageons que la discrétion de sa postérité et l’humanisme de l’ouvrage ont conquis l’artisan cinéaste retiré en Normandie.
L’action prend place en 1915 dans la campagne française, tandis que les hommes meurent au front, que les femmes et les vieillards font tourner les fermes. Hortense (Nathalie Baye) est de celle-ci, pour qui l’aide de sa fille Solange (Laura Smet) ne suffit pas, de sorte que la jeune Francine (Iris Bry), beauté rousse et terrienne, orpheline, est embauchée comme fille de ferme pour aider les deux femmes. Dépouillé et lyrique, filmé comme on peint, Les Gardiennes chronique la dureté du travail et la vaillance de ces femmes, qui apportent à leur patrie et à leur foyer le courage de la vie face au carnage de la guerre.
Tableau irénique
Au gré des retours puis des absences des êtres chéris, au gré de l’arrivée d’une garnison de soldats américains, au gré d’un désir que la guerre n’a pas éteint, quelque chose bientôt se craquelle dans ce tableau irénique, la préservation de la cellule et du patrimoine familiaux passant par le prix d’une cruelle injustice dont la servante se trouve victime. Par quoi l’ordre des femmes – une juste cause – ne saurait toutefois se soustraire à l’ordre social qui l’inclut et l’aliène aussi bien. Intéressante réflexion pour les temps qui courent, dont on craint que l’époque ne puisse l’entendre.
Cette complexité, dramaturgique et sociale à la fois, arrive toutefois bien tard dans ce film un rien compassé qui semble avoir le mal d’un pays qui n’existe plus de longue date, et dont on cherche sans le trouver l’enjeu par lequel il nous saisirait aujourd’hui. Sans rien dire du périlleux défi qui consiste, fût-ce par croyance bravache dans les puissances de la fiction, à prêter à Nathalie Baye et Laura Smet le poids existentiel nécessaire et suffisant à la conduite de leur rôle en général et d’une moissonneuse-lieuse en particulier.
Une sorte de nostalgie des origines perdues et des promesses trahies court ainsi tout au long du film, qui ne cesse lui-même de courir après les grands exemples du passé. Le Jean-François Millet des Glaneuses, les Lumière de L’Entrée du train en gare de La Ciotat, le Jean Renoir d’une Partie de campagne, le Maurice Pialat de La Maison des bois. Superbe généalogie, qui déploie de la beauté à perte d’horizon, mais transforme en même temps chaque plan en obituaire.
On pense alors à La Chambre verte, ce merveilleux film de François Truffaut dans lequel il incarne, justement aux côtés de Nathalie Baye qui joue sa fiancée, un personnage de l’après-première guerre mondiale que la fidélité aux morts empêche de vivre sa vie et son amour. Et si, à l’instar de Julien Davenne, Xavier Beauvois, dans Les Gardiennes, s’était à son tour abîmé dans la chambre verte ?
Les Gardiennes - Bande-annonce officielle HD
Durée : 01:41
Film français de Xavier Beauvois.Avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry, Olivier Rabourdin, Gilbert Bonneau (2 h 14). Sur le Web : pathefilms.com/film/lesgardiennes