Qui avait peur de Fred Hampton ?
Qui avait peur de Fred Hampton ?
Par Abdourahman Waberi (chroniqueur Le Monde Afrique)
Quarante ans après avoir été tué dans un raid de la police américaine, le chef des Black Panthers de Chicago continue d’habiter les esprits.
Fred Hampton, leader des Black Panthers, assassiné par les forces de polices à Chicago le 4 décembre 1967 : « Nous vaincrons le racisme en étant solidaires. » / CC 2.0
Les fantômes du passé ne cessent de nous hanter. A l’heure où le président Emmanuel Macron a promis de déclassifier tous les documents français concernant l’assassinat de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara en 1987, où l’enquête judiciaire sur le meurtre du journaliste d’investigation burkinabé Norbert Zongo en 1998 connaît un rebondissement avec l’interpellation de François Compaoré à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, le 29 octobre, une affaire vieille de quatre décennies refait surface aux Etats-Unis. Avant Thomas Sankara et Norbert Zongo, un autre spectre vient surgir des brumes du passé.
Le lundi 4 décembre a marqué le quarantième anniversaire de la mort de Fred Hampton, le chef des Black Panthers de Chicago. Le 4 décembre 1969, la police de Chicago a fracassé l’appartement de Fred Hampton et l’a tué dans son lit. Fred Hampton est mort sous une pluie de balles. Il n’avait que 21 ans. Mark Clark, autre responsable du mouvement, a également été tué dans le raid. Comme souvent, les forces de l’ordre de Chicago ont prétendu que les militants noirs avaient ouvert le feu sur des policiers qui, munis d’un mandat de perquisition, ne faisaient que leur travail. Cette thèse a été battue en brèche. Plusieurs témoins ont apporté la preuve que le FBI, le bureau du procureur du comté de Cook et la police de Chicago ont bel et bien organisé l’assassinat de Fred Hampton (1948-1969).
Un assassinat organisé
L’un des premiers témoins interrogés par l’avocat des Black Panthers, Jeffrey Hass, n’est autre que la fiancée Deborah Jonathan alors enceinte de huit mois et demi et présente sur le lieu du crime. « Nous étions dans notre lit. Je me suis retrouvé sur Fred à un moment donné pour essayer de le protéger. Quelqu’un m’a tirée hors de la pièce. Puis deux policiers y sont entrés, et l’un d’eux a demandé : “Il est mort ?” J’ai entendu deux coups, puis l’autre a répliqué : “Maintenant oui, il est bien mort !” ». Dans le même quartier, quatre autres Black Panthers connaissent le même sort.
Pour le linguiste et intellectuel Noam Chomsky, le doute n’est pas permis. La disparition de Hampton reste le plus grave crime national commis par l’administration de Richard Nixon. Quatre-vingt-dix balles ont été tirées par les policiers selon l’avocat et les divers témoins.
Les clichés du matelas troué de balles publiés par un journal d’étudiants porte la marque de la violence paroxystique de l’assaut et contredit la thèse défendue par la police de Chicago. Une foule de plus de 5 000 personnes accompagnera le jeune militant jusqu’à sa dernière demeure. En tête de cortège, on retrouve les grandes figures nationales comme Jesse Jackson, le futur candidat démocrate à la présidence en 1984 et 1988, et le successeur de Martin Luther King, le révérend Ralph Abernathy.
Avant-garde anticapitaliste et antiraciste
L’une des raisons avancées pour expliquer l’assassinat de Fred Hampton est son charisme et surtout sa capacité à réunir des forces progressistes par-delà la barrière raciale. Les grandes métropoles américaines, de New York à Chicago et Los Angeles, comptent beaucoup de groupes de jeunes gens tentés par l’action révolutionnaire et venant des classes défavorisées blanches, noires et latinos. Constituer une avant-garde tournée vers l’action et réunir ces groupes au sein d’une coalition arc-en-ciel anticapitaliste et antiraciste, tel était le projet sur lequel Fred Hampton et ses alliés travaillaient.
Ses discours en attestent : « Nous disons que nous allons travailler avec tout le monde et former une coalition avec tous ceux qui ont la révolution à l’esprit. Nous ne sommes pas une organisation raciste, parce que nous comprenons que le racisme est une excuse utilisée pour le capitalisme, et nous savons que le racisme n’est que le sous-produit du capitalisme. » Le FBI ne laissera pas, aux uns et aux autres, le temps de mettre en œuvre cette force nouvelle, comme tout un chacun peut le découvrir dans les rapports déclassifiés du programme de contre-espionnage du FBI ou COINTELPRO (1956-1971).
Quarante ans après, le fantôme de Fred Hampton hante encore les rues de Chicago. Comme l’Argentin Che Guevara ou les Burkinabés Sankara et Zongo, l’esprit de Fred Hampton se balade dans le monde de manière espiègle et cyclique. Les tee-shirts et les casquettes sont ses déguisements favoris. Si plusieurs livres et films documentaires retracent sa brève existence, son verbe abrasif se glisse dans les refrains et les clips signés par les plus grands artistes du rock et hip-hop à l’instar de Rage Against the Machine, Kendrick Lamar ou Jay Z qui, lui, est né le 4 décembre 1969 et tient à honorer la mémoire de Fred Hampton.
Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006) et de La Divine Chanson (éd. Zulma, 2015). En 2000, Abdourahman Waberi avait écrit un ouvrage à mi-chemin entre fiction et méditation sur le génocide rwandais, Moisson de crânes (ed. Le Serpent à plumes), qui vient d’être traduit en anglais, Harvest of Skulls (Indiana University Press, 2017).