Le Festival de danse de Cannes réchauffe la Croisette
Le Festival de danse de Cannes réchauffe la Croisette
Par Rosita Boisseau (Cannes (Alpes-Maritimes)
Jusqu’au 17 décembre, la deuxième édition est placée sous la direction de Brigitte Lefèvre, venue de l’Opéra de Paris.
Cannes en hiver ? Le Festival de danse joue les bouillottes. Effervescence du public, salles pleines, la manifestation, qui a lieu jusqu’au 17 décembre dans six théâtres, dont le Palais des Festivals, génère une chaleur contagieuse. Pour la deuxième édition placée sous la houlette de Brigitte Lefèvre, directrice de la danse de l’Opéra national de Paris de 1995 à 2014, la manifestation cannoise biennale active un tourniquet d’esthétiques avec deux spectacles au moins chaque soir.
Du classique flamboyant de Don Quichotte, interprété par le Ballet d’Uruguay, à l’abstraction rigoureuse de Merce Cunningham (1919-2009) par le Centre national de danse contemporaine d’Angers, le programme de dix-sept compagnies fait courir un fil d’éclectisme solide car amoureux de tous les gestes à condition qu’ils soient singuliers et affirmés. Les contemporains Thomas Lebrun, Maud Le Pladec et Robyn Orlin s’y distinguent. La présence des grandes maisons comme celle du Ballet de Rome et des écoles comme celle de Cannes rappellent la carrière institutionnelle toujours inventive de Brigitte Lefèvre. « J’ai eu d’abord et avant tout envie de rassembler des troupes, des styles parce qu’évidemment ça fait partie de ma vie, affirme Brigitte Lefèvre. J’aime aussi que des danseurs de tous bords puissent se rencontrer dans ce festival en découvrant d’autres univers que le leur. » Parmi les chocs attendus, celui de Carmina Burana, chorégraphié par Claude Brumachon sur la musique de Carl Orff, qui réunira 250 danseurs, musiciens et choristes sur scène.
Passion féroce du corps
Inconnu au bataillon en France, le Scottish Dance Theatre, basé à Dundee (Ecosse), a fait appel au danseur et chorégraphe français Damien Jalet, complice de création de Sidi Larbi Cherkaoui depuis le début des années 2000. Pour explorer des mondes parallèles « entre visible et invisible », selon la formule de Fleur Darkin, l’offensive directrice de la compagnie, rien ne vaut ce guide de l’extrême qu’est Jalet. Dont acte. Rendez-vous au-dessus du volcan avec Yama (« montagne » en japonais), trip déstabilisant, véritable rituel de transformation entre mystère de la matière et éruption tribale. En trait d’union, la passion féroce du corps de Damien Jalet et sa capacité à arracher les couches d’habitudes.
Nuit profonde sur le plateau où se détache le blanc lunaire d’un cratère. Des boules de fesses, des morceaux de jambes, surgissent comme autant de pièces détachées. Anatomie concassée pour magma humain en pleine gestation, Yama, pièce créée en 2014 pour neuf interprètes, lève une pâte chorégraphique insolite qui se répand sur scène, gonfle et grouille. Sans cesse étonnant dans la façon d’agglomérer les danseurs , puis de dresser des totems, le traitement du corps et du mouvement réveille un imaginaire archaïque. Peu à peu, une créature sans visage prend forme sur une paire de jambes dissimulées par une immense chevelure blonde. Sur les vrombissements du groupe Winter Family, Yama accélère la prolifération cellulaire sur le fil d’une fiction néo-ethno.
SCOTTISH DANCE THEATRE DAMIEN JALLET - CANNES DANCE FESTIVAL
Durée : 01:11
Pour plonger dans ce trou noir, Damien Jalet a assisté et participé à de nombreux rituels au Japon et à Bali. A la fin du spectacle, lors d’une rencontre avec le public, il évoque en particulier celui des moines japonais yamabushis qui ont inspiré le titre de la pièce. Installés dans des montagnes du Tohoku, ils pratiquent un rituel de renaissance, « le shugendo », l’un des plus anciens qui survit au Japon. Il se déroule en dix étapes tout en escaladant un sommet. Cette ascension de la montagne, considérée comme une mère et une tombe, se reflète dans la transe qu’est Yama.
Refrain de l’osmose
Le fantasme de fusion, d’imbrication physique qui fait perdre de vue les limites de soi et de l’autre, la jeune chorégraphe Jann Gallois en propose une version plus abstraite dans un duo avec Rafael Smadja intitulé Compact (2016). Inextricablement encastrés l’un dans l’autre, un homme et une femme déploient une énergie folle à faire (ou ne pas faire) corps commun. Roulant l’un sur l’autre, rivalisant d’invention dans la façon de s’accrocher, ces inséparables épuisent le refrain de l’osmose jusqu’à explosion.
Troisième pièce de Jann Gallois depuis la création de sa compagnie Burn Out en 2012, Compact introduisait, samedi 9 décembre, au Théâtre de La Licorne, sa première production pour cinq interprètes Quintette. Dans un espace de jeu sans cesse vrillé par des changements d’humeurs, la question de la bonne place, du timing et du travail collectif s’offre des variations théâtrales ludiques. Un peu décousu, ce Quintette profite heureusement d’un esprit de troupe qui tient bon.
Festival de danse de Cannes, jusqu’au 17 décembre. Tél. : 04-92-98-62-77. www.festivaldedanse-cannes.com. Prochains rendez-vous : le Centre national de danse contemporaine d’Angers (CNDC), Angers, les 14 et 15 décembre ; Carmina Burana, de Claude Brumachon, le 16 décembre.