Une majorité sans précédent pour les nationalistes corses
Une majorité sans précédent pour les nationalistes corses
Par Antoine Albertini (Bastia, correspondant)
Analyse. La liste de Gilles Simeoni et de Jean-Guy Talamoni a remporté 41 sièges sur 63 dans la future collectivité unique.
Gilles Simeoni, leader de la liste nationaliste Pè a Corsica aux élections territoriales, célèbre sa victoire avec ses partisans, le 10 décembre 2017, sous un chapiteau sur la place du marché de Bastia. / OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR LE MONDE
Avec 56,5 % des suffrages exprimés en leur faveur, une progression de 13 000 voix entre les deux tours et 41 élus sur 63 dans la future Assemblée de Corse, les nationalistes de Pè a Corsica (« Pour la Corse ») se sont arrogé dimanche soir la plus confortable majorité jamais constatée dans l’histoire de l’institution, obtenant pratiquement le double de l’ensemble des sièges conquis par une opposition désormais réduite à un rôle de figuration tout au long de la mandature à venir. La droite régionaliste de Jean-Martin Mondoloni n’obtient que dix élus ; la liste soutenue par Les Républicains menée par Valérie Bozzi, six ; autant que celle de Jean-Charles Orsucci, adoubé par la commission d’investiture de La République en marche.
A Bastia, sitôt les résultats connus, plusieurs centaines de personnes ont convergé vers la place du Marché, siège du bureau centralisateur de la ville, sur laquelle un chapiteau utilisé la veille pour une course pédestre avait été réservé par l’équipe de campagne de Jean-Guy Talamoni et Gilles Simeoni, les deux responsables nationalistes. Depuis les résultats du premier tour (46 % des voix pour Pè a Corsica), dimanche 3 décembre, l’issue d’une élection jouée d’avance ne faisait plus aucun doute. « L’électorat a tranché de manière claire », reconnaissait dimanche soir M. Mondoloni, dorénavant à la tête de la principale force d’opposition.
Message d’apaisement
« Nous savons que nous avons énormément de travail devant nous, a déclaré M. Simeoni, tête de liste Pè a Corsica et président sortant du Conseil exécutif, le mini-gouvernement de l’île. Nous chercherons toujours le consensus pour faire avancer les dossiers. » Un message d’apaisement que l’homme fort de la Corse a malgré tout doublé d’un « rappel des fondamentaux » de la revendication nationaliste. Parmi ceux-ci, l’obtention d’un statut de résident destiné à « lutter contre la spéculation immobilière », la reconnaissance de la co-officialité de la langue corse et des mesures de rapprochement des « prisonniers politiques insulaires ».
« Les Corses ont réitéré leur confiance de manière massive à notre majorité, a ajouté M. Talamoni. Paris ne pourra pas rester longtemps dans le déni de démocratie ou alors, bien sûr, nous serons conduits à susciter des mobilisations populaires en Corse, à faire le tour des capitales européennes pour dénoncer l’attitude de la France. Mais j’espère que nous n’en arriverons pas là et que la raison finira par triompher, y compris à Paris, pour que des négociations s’ouvrent dans les semaines à venir. »
Tout au long d’une campagne qui a pris des allures de chronique d’une victoire annoncée, les nationalistes corses n’ont cessé de rappeler leur volonté d’aboutir à un statut d’autonomie « de plein exercice » dans les trois années à venir, pour une mise en œuvre effective « dans les dix ans », en tentant de désamorcer les attaques répétées de leurs adversaires. Ceux-ci ont notamment dénoncé – sans véritablement convaincre – la « tentation indépendantiste » de la liste Pè a Corsica, sur la constitution de laquelle a pesé Charles Pieri, vétéran de la « lotta armata », la « lutte armée » du FLNC, et condamné en 2005 à dix ans de prison pour extorsion de fonds et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Tâche considérable
Au-delà des « espoirs d’autonomie et de processus d’autodétermination », une tâche d’une ampleur considérable attend les nouveaux responsables politiques corses, dorénavant à la tête d’une région fragilisée par la précarité (Le Monde du 2 décembre) et dont le quotidien reste marqué par la violence : entre les deux tours, l’actualité y a été marquée par l’assassinat de Tony Quilichini, une figure du grand banditisme local et, dans la nuit de samedi, par un attentat perpétré contre le restaurant d’un camping à Olmeto-Plage (Corse-du-Sud).
« Nous ne pourrons pas tout faire pour lutter contre la précarité, nous n’en avons même pas les moyens juridiques, mais nous avons pris la mesure du problème et nous agirons en conséquence », promettait dimanche soir un cadre de Corsica Libera, la composante indépendantiste de la liste Pè a Corsica, qui disait également avoir « reçu l’autre message des électeurs » : avec 47 %, le taux d’abstention enregistré à chaque tour est le plus important dans l’île depuis la création de l’Assemblée de Corse en 1982.
Le grand chantier des prochains mois – de la mandature entière, pronostiquent certains – reste cependant la mise en œuvre de la future collectivité unique, fusion de l’actuelle collectivité territoriale et des deux départements de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud, une entité inédite dans l’architecture institutionnelle française, dotée de plus d’un milliard d’euros de budget et animée par plus de 4 000 agents. Désormais pourvus d’une majorité écrasante dans une institution aux pouvoirs élargis, les nationalistes corses l’admettent eux-mêmes : ils sont « condamnés à réussir ».