Sebastian Pinera et Alejandro Guillier, à Santiago du Chili, le 11 décembre / ESTEBAN FELIX/AP

Fait inédit au Chili, c’est une coalition de gauche radicale, le Frente Amplio (« front large »), qui sera l’arbitre du second tour, très serré, de la présidentielle, dimanche 17 décembre. Le scrutin oppose l’homme d’affaires Sebastian Piñera, président de 2010 à 2014 et candidat de la coalition de centre-droit, et le sénateur Alejandro Guillier, représentant de l’alliance de centre-gauche.

La candidate de gauche, Beatriz Sanchez, avait créé la surprise en arrivant en troisième position, au premier tour, le 11 novembre, avec plus de 20 % des suffrages, soit le double que prévoyaient les sondages, et talonnant de près M. Guillier (22,7 %). Mme Sanchez, que ses partisans appellent « La Béa », a annoncé qu’elle voterait pour M. Guillier. « Un triomphe de Piñera ne serait pas seulement un retour en arrière, mais un risque pour le Chili », a-t-elle déclaré. Nouvelle venue en politique, cette ancienne journaliste, rendue célèbre par ses interviews incisives, entretient des relations amicales avec M. Guillier, lui aussi ex-journaliste, présentateur vedette de la télévision, qu’elle a souvent croisé sur les plateaux.

Quatre jours seulement avant le second tour, les deux principaux piliers de la coalition de gauche, les députés Gabriel Boric et Giorgio Jackson, ont mis fin au suspens en annonçant qu’ils voteraient également pour M. Guillier « afin d’empêcher un retour de Piñera ». Cet appui, donné « à titre personnel » à M. Guillier, ce qui laisse à leurs partisans la liberté de choisir, témoigne des divisions au sein de la coalition hétéroclite de gauche, qui regroupe 14 mouvements et partis.

Tous deux trentenaires, Giorgio Jackson et Gabriel Boric ont été les leaders charismatiques de la révolte en 2011 des étudiants exigeant des financements publics pour les universités, aux côtés de Camila Vallejo, membre du Parti communiste. Ils tiennent à garder leurs distances vis-à-vis de M. Guillier.

« Sa campagne pour le second tour a démontré que nous n’avons rien à espérer », a affirmé M. Boric. « Certains soutiennent qu’une victoire de la droite ne serait pas grave car elle faciliterait la consolidation du Frente Amplio comme meilleure alternative politique », a-t-il précisé, ajoutant : « Je crois que cette analyse se fonde sur une profonde erreur, car elle ne tient pas compte des conditions matérielles de vie de milliers de Chiliens qui se verraient sérieusement affectées dans leur dignité. »

Nouveau bloc parlementaire

Le député Jackson a également soutenu « qu’il fallait voter, dimanche, pour empêcher que le Chili soit gouverné par Piñera et José Antonio Kast ». M. Kast, candidat d’extrême droite, qui se revendique de la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990), avait été l’autre grande surprise du premier tour, obtenant 7,8 % des suffrages. Il a appelé à voter pour M. Piñera, qui n’a réuni que 36,6 % des voix au premier tour, bien au-dessous du score prédit dans les sondages.

Le Frente Amplio a précisé qu’il serait toutefois dans l’opposition, quel que soit le président élu pour un mandat de quatre ans (2018-2022). La gauche de la gauche dispose désormais d’un siège de sénateur et de 20 députés, formant un nouveau bloc parlementaire qui a réussi à s’imposer face aux deux alliances politiques traditionnelles qui ont gouverné le Chili depuis le retour de la démocratie en 1990.

Cette nouvelle force, issue de la révolte étudiante et des manifestations massives, et plus récentes, organisées par les retraités pour défendre leurs droits, n’est apparue qu’en janvier. « Nous avons changé la carte politique du Chili », se félicite Mme Sanchez. Passionnée de flamenco, les cheveux courts à la garçonne, joviale, elle dispose d’un capital de votes lui permettant de défendre son propre programme. Notamment une réforme de la Constitution, héritée de Pinochet, à l’origine des profondes inégalités, mais aussi la dépénalisation totale de l’avortement et le droit au mariage pour les personnes du même sexe.