Aristophil règle ses comptes à l’hôtel Drouot
Aristophil règle ses comptes à l’hôtel Drouot
Par Sandrine Blanchard
La première partie du fonds de la société de bibliophilie a été mise aux enchères mercredi à Paris.
« On est là pour voir comment nos économies vont être dilapidées. » Mercredi 20 décembre, des épargnants qui avaient investi une partie de leur capital dans des correspondances et manuscrits d’auteurs célèbres quittent, dépités, l’hôtel Drouot, à Paris. Ils n’attendent même pas la fin de la vente inaugurale des collections d’Aristophil et ne cachent pas leur colère face à ce qu’ils considèrent comme une « opération montée à la va-vite », dans laquelle ils sont « les dindons de la farce ». Quelques heures auparavant, une foule compacte de professionnels et d’investisseurs se pressait à l’entrée de la salle de vente pour assister à la première dispersion d’un fonds d’archives au parfum de scandale.
La société Aristophil, fondée en 1990, incitait ses clients à placer leur argent dans des documents du patrimoine en leur promettant un rendement de 8 % par an. Elle a été placée en liquidation en mars 2015. Son président, Gérard Lhéritier, considéré comme le « Bernard Madoff des lettres et manuscrits », a été mis en examen la même année pour « escroquerie en bande organisée » et « pratique commerciale trompeuse ». Et 18 000 épargnants – acquéreurs en indivision ou en pleine propriété – se sont retrouvés floués pour un montant de 850 millions d’euros. L’enjeu est désormais de vendre aux enchères cette prestigieuse collection de 130 000 œuvres et, pour les victimes de cette folle affaire, de tenter de récupérer une partie de leur patrimoine.
Deux pièces retirées in extremis
Dans une salle bondée, le commissaire-priseur Claude Aguttes annonce, en introduction, que deux pièces majeures qui figuraient initialement au catalogue de la vente ont été retirées in extremis. Il s’agit du manuscrit, sous la forme d’un rouleau de douze mètres, des 120 Journées de Sodome, ou l’école du libertinage, du marquis de Sade, achevé alors qu’il était emprisonné à la Bastille (estimé de 4 à 6 millions d’euros) et un ensemble d’André Breton, comprenant les deux manifestes du surréalisme et Poisson soluble, une série autographe rédigée dans sept cahiers d’écolier (le tout estimé 4 millions d’euros).
Le manuscrit original du manifeste du surréalisme par André Breton lors de la vente chez Drouot à Paris, le 19 décembre 2017. / CHRISTOPHE ENA/AP
Mardi 19 décembre, ces œuvres ont été classées trésors nationaux par le ministère de la culture – ce qui interdit leur sortie du territoire. Désormais, « une négociation de gré à gré sera ouverte avec l’Etat à partir du 1er janvier 2018 pour l’acquisition de ces œuvres », a indiqué Claude Aguttes, dont la maison de vente aux enchères a été mandatée par le tribunal de grande instance de Paris pour organiser la vente des 130 000 pièces saisies chez Aristophil. La discussion avec le ministère sur la valeur de ces lots et la recherche, sans doute indispensable, de mécènes pour qu’ils rejoignent les collections nationales devraient prendre plusieurs mois.
« C’est la grande braderie »
Les yeux rivés sur l’écran qui égrène les enchères de la vente inaugurale, Michel, resté à l’extérieur de la salle faute de place, espère « ne pas perdre trop de plumes ». Mais cette victime d’Aristophil s’avoue totalement « démuni[e] ». Alors que des procédures judiciaires sont en cours, il se sent « otage d’une vente sur laquelle il n’a pas son mot à dire ». « C’est la grande braderie. Où sont les acheteurs internationaux ? », fustige, de son côté, Yves Boulvert, un artisan qui avait investi 170 000 euros dans le fonds Aristophil. « Madoff vendait du vent, Aristophil vendait des manuscrits authentiques. Si c’était interdit, pourquoi l’Etat a laissé faire aussi longtemps ? », s’interroge-t-il. « On a l’impression qu’il s’agit d’une vente normale, alors qu’elle ne l’est pas, constate un collectionneur venu évaluer le marché des manuscrits. Si j’étais actionnaire d’Aristophil, je serais très inquiet sur la valeur de mes titres ! »
Cette vente inaugurale n’est que la première d’une très longue série. Pour « éviter la saturation du marché », l’étude Aguttes, qui devrait être épaulée prochainement par d’autres maisons, a prévu quelque 300 ventes réparties sur six ou sept ans pour disperser la totalité de la collection.
La séance du mercredi 20 décembre a réalisé un total de 3,8 millions d’euros (frais compris) sous le marteau de Me Aguttes. Si le manuscrit d’Ursule Mirouët, d’Honoré de Balzac, a été adjugé à 900 000 euros (hors frais), un livre enluminé du XVe siècle sur les conquêtes d’Alexandre le Grand à 640 000 euros et une lettre d’amour de Napoléon à Joséphine à 280 000 euros (alors qu’elle était estimée entre 60 000 et 80 000), en revanche, un témoignage manuscrit de quarante feuillets d’une rescapée du Titanic, Helen Churchill Candee, qui fut une des sources d’inspiration du film de James Cameron, n’a pas trouvé preneur avec une mise à prix de 270 000 euros. Le Musée Paul-Valéry de Sète a, quant à lui, préempté, pour un montant de 37 000 euros, 164 lettres et poèmes de Paul Valéry adressés à sa fille, Agathe.