Le Parti populaire du premier ministre espagnol, Mariana Rajoy, s’est effondré aux élections régionales de Catalogne, passant de onze à trois sièges. / Paul White / AP

Au lendemain des élections régionales en Catalogne, qui ont vu les formations indépendantistes obtenir la majorité absolue des sièges, et le parti libéral unioniste Ciudadanos arriver en tête du scrutin, la passe d’armes a commencé entre Madrid et Barcelone. Alors que le président déchu du Parlement catalan, Carles Puigdemont, exilé à Bruxelles, a proposé des négociations au premier ministre espagnol, ce dernier a refusé, expliquant vouloir discuter avec Ciudadanos. Envoyée spéciale à Barcelone, Sandrine Morel a répondu aux questions des lecteurs du Monde.fr.

Pascal D. : Pour M. Rajoy, Ciudadanos a gagné les élections. Est-ce de la provocation ?

Non. Mariano Rajoy a raison. Les partis se sont présentés séparément et Ciudadanos a gagné, même s’il n’a pas de majorité pour gouverner. Et les divisions internes et luttes de pouvoir au sein du bloc indépendantiste augurent des négociations complexes. De plus, M. Rajoy doit gagner du temps et voir quelles sont les exigences des indépendantistes avant d’avancer une réponse. Il est probable que, durant les prochains jours, des contacts soient noués en secret avant que des négociations puissent être ouvertes officiellement, si elles ont lieu.

Axel : Est-il envisageable pour Ciudadanos de constituer un gouvernement, même minoritaire, dans la Generalitat ?

Non. Ce n’est pas possible. Ciudadanos est l’ennemi juré des indépendantistes et ils feront tout pour s’unir contre son investiture. De plus, même s’ils devaient perdre huit députés du fait des inculpations judiciaires, ils pourraient compter sur Podemos pour empêcher la victoire de la formation libérale et antinationaliste d’Inès Arrimadas.

Lucas : Comment le gouvernement de Catalogne sera constitué ?

Autour du 3 janvier doit avoir lieu la proclamation officielle des résultats des élections. Mariano Rajoy devra fixer dans un délai maximum de vingt jours la date de constitution du parlement. Le 23 janvier environ, les députés doivent prendre possession de leurs fonctions. On verra à ce moment-là ceux qui y renoncent, parce qu’ils sont en « exil » ou en prison, et ceux qui persistent, avec le risque de perdre la majorité.

Le bureau du parlement doit ensuite proposer un candidat à l’investiture dans un délai de quinze jours. Autour du 8 février devrait ainsi avoir lieu le débat d’investiture. S’il n’aboutit pas, autant de candidats que possible peuvent se présenter pendant deux mois. Passé ce délai, le parlement est dissous et de nouvelles élections convoquées cinquante-quatre jours plus tard.

Gildas : Le calendrier judiciaire pour les nouveaux députés incarcérés est-il connu ?

Non. Il n’est pas connu. S’ils sont condamnés, les socialistes catalans ont déjà demandé de les gracier. Ce qui est une possibilité. Les indépendantistes ont demandé un rapport à des avocats afin d’éclaircir les droits de ceux qui sont en prison préventive. Il est possible que, n’étant pas condamnés, la justice ne puisse pas les empêcher d’exercer leurs fonctions. La question des « fugitifs » est plus complexe. A priori, il est compliqué qu’ils puissent exercer leurs fonctions. Raison pour laquelle une des priorités des indépendantistes est de négocier avec Madrid la levée des plaintes du parquet général de l’Etat.

Lire l’éditorial du « Monde » : Le triple échec de Mariano Rajoy en Catalogne

Equinoxe : Que se passera-t-il si les indépendantistes et autonomistes ne trouvent pas un accord ?

Il est trop tôt pour avancer la tournure que va prendre la situation. Madrid semble décidé à attendre de voir si les indépendantistes parviennent à former un gouvernement, espérant une fois de plus que le temps et les contradictions internes du bloc les fassent s’effondrer.

Alice : Quelles sont les différences de programme entre ERC et Ensemble pour la Catalogne ?

ERC est un parti de gauche qui défend des mesures sociales, économiques et redistributives qui sont à l’opposé de ce qu’est normalement le programme de la droite nationaliste, libérale, laquelle a toujours été très méprisante avec ERC. Cependant la liste Ensemble pour la Catalogne de Carles Puigdemont n’est pas un parti à proprement parler. Elle n’avait pas vraiment d’autre programme que la « restauration du gouvernement légitime, la libération des prisonniers politiques et la restitution des institutions… ». Les divergences sont avant tout des luttes de pouvoir dans ce cas.

Jérome : Est-il possible qu’une des sorties de crise soit un nouveau référendum accepté par toutes les parties ? Sait-on si MM. Rajoy ou Puigdemont se satisferont d’une telle éventualité ?

Il ne faut jamais dire jamais. Mais il est peu probable que M. Rajoy accepte un référendum d’autodétermination en Catalogne, pour diverses raisons :

  • la Constitution espagnole ne le permet pas ;

  • son électorat ne lui pardonnerait pas ;

  • il risquerait de perdre une région qui représente 19 % du PIB de l’Espagne et sans laquelle le pays plongerait dans la récession ;

  • il ouvrirait la boîte de Pandore des velléités basques ;

  • il obligerait à imposer la décision d’une moitié de la population sur l’autre.

Pour toutes ces raisons, si un référendum doit avoir lieu, ce qui est probable et raisonnable, ce serait sur un accord ample capable de satisfaire une plus grande majorité : nouveau cadre institutionnel, réforme fédérale, etc., comme le proposent les socialistes catalans. Mais il faut pour cela de l’imagination politique, ce qui a manqué en Espagne ces dernières années.

Geoffrey : Rajoy est-il réellement prêt à ouvrir des négociations, au moins pour une large autonomie de la Catalogne ?

Non. Pas pour le moment. Pour le Parti populaire (PP), la Catalogne a suffisamment de compétences et lui en donner plus reviendrait presque à lui donner l’indépendance. Le gouvernement est prêt à offrir une réforme du financement, des mesures symboliques culturellement, mais il n’est pas prêt à donner l’autonomie fiscale par exemple, ce qu’il considère ruineux pour le royaume.

Philippe09 : Est-il envisageable que Rajoy soit acculé à la démission à la suite de ces élections ?

M. Rajoy vient d’écarter la convocation d’élections anticipées. Mais sa capacité de résilience va être sérieusement mise à l’épreuve dans les prochains mois. Il n’est plus crédible en Catalogne, étant donné son piteux résultat : avec 4,2 % des voix, il ne peut même pas avoir de groupe parlementaire propre et va s’asseoir dans le groupe mixte, avec l’extrême gauche révolutionnaire, la CUP. Les affaires de corruption plombent son parti, et la jeune formation Ciudadanos l’attend au tournant, car elle espère profiter de l’élan que lui a donné sa première place en Catalogne.

Emma14 : Doit-on retenir, au sortir de ces élections, que l’Espagne ne sera plus jamais unie ? Dans ce cas, quelles conséquences sur l’économie ?

Il faut laisser reposer les événements et ne pas se précipiter dans les analyses. Les indépendantistes ont mis de côté pour le moment la rupture. Ils n’ont obtenu que 47,5 % des voix et cela est trop peu pour légitimer une sécession, à laquelle, de plus, l’Espagne s’est opposée avec tout son arsenal judiciaire et politique. L’unité de l’Espagne est fragile, elle peut se rompre, mais elle devrait tenir encore, tant bien que mal, à condition de trouver une solution politique au malaise catalan qui permette de l’apaiser.