A Bogota aussi, on s’écharpe sur l’écriture inclusive
A Bogota aussi, on s’écharpe sur l’écriture inclusive
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
Le tribunal administratif oblige la mairie de la capitale colombienne à remplacer le slogan de l’équipe municipale, qui exclurait les femmes.
L’écriture inclusive a émergé dans le débat public en Colombie. / unknown
« Bogota, mejor para todos » (« Bogota, meilleure pour tous »), le slogan de l’équipe municipale, a fait tiquer les partisans – et partisanes – de l’écriture inclusive en Colombie. Le tribunal administratif de la capitale leur a donné raison, en obligeant la mairie à le remplacer par un plus correct « Bogota, meilleure pour tous et pour toutes ». Le maire, Enrique Peñalosa (droite), a fait appel de la décision. Cette dernière a beau être suspendue, le débat reste vif.
C’est un sénateur de gauche, défenseur des droits humains, Alirio Uribe, qui a saisi la justice, en considérant que le slogan de la mairie excluait les femmes et qu’il enfreignait l’accord 381 de 2009 du conseil municipal. Ce texte ordonne aux autorités de la ville d’utiliser l’écriture inclusive dans tous les actes publics et documents officiels, tels que les décrets, les arrêtés, les avis, les journaux, les affiches, les brochures, le site Internet, les blogs.
« Pour moi et mon équipe, le droit des femmes n’est pas affaire de langage ou de sémantique. Nous voulons qu’il existe dans les faits », a déclaré M. Peñalosa, en rappelant que plus de la moitié de ses collaborateurs sont des collaboratrices. Le maire a par ailleurs indiqué que la modification du slogan contesté coûterait cher. Si la décision judiciaire était confirmée, la mairie devra jeter à la poubelle des tonnes de papier à en-tête, réimprimer des milliers d’affiches, changer les uniformes de centaines de fonctionnaires.
Le juge a considéré que le slogan « Bogota, mejor para todos » employait un générique masculin qui « subtilement discrimine les femmes, qui ne se sentent pas représentées ». Le sujet, précise le magistrat, « ne doit pas être abordé comme une simple question discursive », mais « il est porteur de profondes transformations culturelles » pour faire exister le droit à l’égalité de manière effective.
L’Académie royale espagnole s’en est mêlée sur Twitter. Cette institution fondée en 1713 a signalé qu’« en espagnol, comme dans beaucoup d’autres langues », le masculin grammatical l’emporte. Le langage doit-il s’adapter aux nouvelles réalités ? La grammaire a-t-elle le pouvoir de transformer la société ? Les questions ici et là se ressemblent.
L’écriture inclusive est très utilisée en Colombie dans les ONG et la coopération internationale. La question de sa généralisation s’est politisée. M. Peñalosa a succédé à plusieurs maires de gauche. Le dernier d’entre eux, Gustavo Petro, avait été très actif sur le dossier de l’égalité des genres et du respect des droits des minorités sexuelles.
Sur l’écriture inclusive, lire les tribunes contradictoires
Pour Danielle Bousquet et Françoise Vouillot, deux membres du Haut Conseil à l’égalité, la primauté accordée au masculin au XVIIIe siècle n’est pas une loi d’airain et le langage joue un rôle dans l’infériorisation des femmes.
Pour le linguiste Alain Bentolila, une langue ne peut voir sa structure changer qu’au rythme de l’évolution du peuple qui la parle.
Par ailleurs, l’accord de paix signé fin 2016 avec la guérilla des FARC a été rédigé selon les règles de l’écriture inclusive. « Préciser que les paysans et les paysannes ont accès au crédit ou à la titularisation des terres peut changer beaucoup de choses pour les femmes sur le terrain », soulignait à l’époque Maria Paulina Riveros, membre de l’équipe négociatrice du gouvernement. Mais l’accord a été présenté par les Eglises catholique et évangéliques comme un moyen détourné d’imposer une prétendue « théorie du genre » et une menace pour la famille traditionnelle. La droite est, depuis, farouchement contre le langage inclusif. La gauche hésite. Les juges aussi.