Et si l’impact du Grand Paris Express était plus désordonné que prévu ?
Et si l’impact du Grand Paris Express était plus désordonné que prévu ?
Par Jean-Pierre Gonguet
Les mystères du Grand Paris (4/10). L’impact du Grand Paris Express sur le territoire risque d’être, selon le géographe Daniel Béhar, un peu chaotique.
« Je produis des travaux qui, je l’espère, seront faux dans cinq ans. » Le géographe Daniel Béhar cherche à comprendre l’impact des différences d’anticipations sur l’économie. Ainsi, la construction d’un métro automatique de 200 kilomètres peut-il ne pas avoir les conséquences économiques escomptées pour peu que les attentes et réactions des acteurs soient multiples, non coordonnées ou incohérentes.
« Les décisions d’investissement, sur un même territoire, autour de la même gare, ne se prennent jamais en même temps, explique Daniel Béhar. Il va se passer des années entre la décision d’investissement d’un bailleur social et celle d’un promoteur d’immobilier de bureaux. Des années encore entre l’emménagement d’un résident et l’installation d’une PME sur le même territoire. Un grand acteur du logement va focaliser son attention dès aujourd’hui sur les quartiers de gare. Lorsqu’elle ouvrira, son programme sera fini. A l’inverse, le professionnel de l’immobilier de bureaux va attendre la mise en service du métro. Quant aux entreprises, elles vont attendre de comprendre comment le marché du travail et la spécialisation éventuelle du territoire se structurent avant de s’implanter. »
Pour Daniel Béhar, « les territoires sont des corps vivants ». Métro automatique ou pas, ils évoluent, ils ont leurs propres dynamiques. L’important n’est donc pas de savoir ce que les acteurs d’un territoire attendent du métro, mais d’abord de connaître leurs projets. Puis, ensuite, d’essayer de comprendre comment un investissement majeur d’infrastructure peut conforter ou modifier ces projets. Il a donc, avec les chercheurs Philippe Estebe et Nicolas Rio, interrogé les acteurs du territoire sur leurs projets, puis a construit un modèle prévisionnel, en travaillant exactement comme un scénariste de série télévisée.
De Friends à Games of Thrones, tous ont en effet bâti une « bible » qui définit les invariants, la personnalité des héros et les lieux de l’action. « Après… advienne que pourra ! Nul scénariste ne sait s’il y aura une saison 3 ou 7, si Jack Bauer deviendra un paria ou si Rachel et Ross se retrouveront, rappelle le géographe. Mais les invariants de la bible et les process de scénarisation, eux, ne changeront jamais. Le Grand Paris Express relève de la même scénarisation. Nous élaborons une méthode de management du projet pour en maximiser les effets en raisonnant à partir de l’existant. Comme si la métropole n’attendait pas le métro, mais qu’elle était déjà dans un processus de transformation que le métro va percuter. »
Le résultat est que les dynamiques de changement du territoire ne sont absolument pas linéaires. Elles vont même connaître des ruptures constantes dont les dix à quinze ans à venir. Et il y aura au moins trois saisons dans l’histoire du Grand Paris Express. Trois saisons avec des acteurs et des dramaturgies différents.
Dans la saison 1, les décisions résidentielles des Franciliens précéderont de plusieurs années celles des entreprises. En d’autres termes, la mobilité des ménages vers les futurs quartiers de gare précédera, de loin, celle des entreprises, qui sera effective dans la saison 2. D’ailleurs, dans la saison 1, ce sont surtout les « CSP + » qui seront les plus concernées. « Le métro va permettre de mieux intégrer la première couronne à la zone dense de Paris. C’est beaucoup plus tard, dans la saison 3 et avec la mise en place de toutes les interconnexions, que le métro connaîtra son effet majeur de transformation de la structure métropolitaine, en articulant enfin les première et deuxième couronnes. »
Le scénario prévisionnel des quinze prochaines années n’est donc pas tout à fait attendu, il est un peu chaotique. Il ne favorise pas toutes les couches sociales en même temps, mais successivement. « Que les effets réels du métro en 2030 ne soient pas tout à fait ceux escomptés lors de sa conception en 2007 est normal. Rien de dramatique, commente Daniel Béhar. L’essentiel est d’être dans un processus constant de compréhension des logiques du territoire et de s’adapter. Beaucoup ont pensé que le métro allait homogénéiser Paris et la grande couronne. Or il est probable que cette homogénéisation aura lieu surtout entre la première et la deuxième couronne. » Dit autrement, l’effet « Grand Métro » ne suffira pas à faire le Grand Paris en reliant la deuxième couronne au cœur de la métropole.
Reste à penser cet inattendu. « Il est assez étonnant de constater que les deux projets majeurs de la métropole qui vont modifier fortement le territoire, le Grand Paris Express et Inventons la Métropole du Grand Paris, sont deux projets où le suivi, la cohérence et la gestion de l’inattendu sont absents. Pourtant si l’on souhaite maximiser les effets du métro et des projets immobiliers en évitant les résultats contre-productifs, il va bien falloir observer constamment les dynamiques de l’écosystème du métro, et gérer les incohérences. »
Cet article fait partie d’une série de dix chroniques sur le Grand Paris Express, publiées sur la chaîne Smart Cities du Monde.