Sarah Belouezzane, journaliste chargée des questions sociales au Monde, a répondu à vos questions sur les nouvelles ruptures conventionnelles collectives (RCC), instauré par les ordonnances de septembre 2017.

Nana : Quels sont les avantages pour une entreprise de recourir à des ruptures conventionnelles collectives ?

Sarah Belouezzane : Bonjour, pour l’entreprise la rupture conventionnelle est plus sûre juridiquement qu’un plan de sauvegarde de l’emploi qui lui repose principalement sur la jurisprudence. Il est beaucoup plus difficile de contester la première que le second et elle ne s’accompagne pas des mêmes obligations de reclassement et de formation que le PSE.

Maestro : Les ruptures conventionnelles sont-elles aussi protectrices pour les salariés qu’un plan de sauvegarde de l’emploi ?

S.B. : Elles peuvent être plus avantageuses financièrement mais pas plus protectrices. Plus difficiles à contester que le PSE, elles ont, par ailleurs, le défaut de priver la personne du CSP, le contrat de sécurisation professionnelle. Ce dispositif permet un suivi plus intensif des demandeurs d’emploi victimes d’un licenciement économique et leur assure, pendant un an, une indemnité plus importante que celle de base.

Yolo : Mais les ruptures conventionnelles collectives ne seraient-elles pas un bon moyen de faire des plans sociaux déguisés ?

S.B : Le gouvernement a normalement prévu des garde-fous : il faut, pour signer une RCC, la signature des syndicats représentant plus de 50 % des salariés. Il faut par ailleurs obtenir l’accord des services déconcentrés du ministère du travail pour chaque projet de RCC. Cela dit, les syndicats craignent que le système ne soit dévoyé. Pour eux, des employeurs mal intentionnés pourraient recourir à des pressions pour faire signer ce type de plans par les syndicats et éviter le plan social, plus contraignant.

Jordan : La RCC implique apparemment l’acceptation des deux parties. Est-elle gérée par les syndicats ou acceptée/refusée individuellement par chaque salarié ? Quel est le risque si le salarié refuse la RCC ?

S.B : Il faut en effet que l’acceptation des deux parties. Mais ensuite il faut que les salariés soient volontaires. L’employeur peut par exemple lancer une RCC pour 45 personnes mais n’avoir que 37 volontaires. Il ne pourra, pour autant, en principe, pas lancer un plan de licenciement par la suite pour supprimer les 8 postes qui restent.

Diadorim : Les journalistes – qui bénéficient, je crois, d’une convention particulière – sont-ils également concernés par ces nouveaux dispositifs ?

S. B : Si les syndicats majoritaires signent, ils peuvent l’être oui. Ce sont des salariés comme les autres.

Brice : Dans le cas de ce type de rupture conventionnelle, un salarié peut-il percevoir le chômage ?

S. B : Il le peut oui. Mais contrairement à ce qui se produit lors d’un PSE, il n’aura pas droit au contrat de sécurisation professionnelle qui permet un suivi plus intensif des demandeurs d’emploi victimes d’un licenciement économique et leur assure, pendant un an, une indemnité plus importante que celle de base.

Léon : Les syndicats représentent 6 % des salariés, est-ce que ce nouveau dispositif ne réduit pas encore un peu plus la marge de manœuvre du salarié en tant qu’individu, qui se verra, contre son gré et sans pouvoir rien faire, embarqué dans des grandes négociations globales sans prendre en compte son individualité, notamment en termes d’outplacement, de formation, et de mobilité interne ou dans des filiales par exemple.

S. B : Les syndicats négocient déjà des accords collectifs en tout genre, de ce point de vue là, le salarié demeure dépendant de ceux qu’il a élus. Mais la RCC demeure sur la base du volontariat, il pourra donc décider d’y participer ou pas.

Dorade : L’entreprise donnerait donc un plus gros montant d’argent dans le cadre d’une RCC aux salariés volontaires au départ mais ensuite elle ne serait pas impliquée dans le reclassement de ces salariés ?

S.B : C’est normalement, en effet, le principe de ce dispositif.

Tdandy : Un PSE en cours peut-il se transformer en RCC si les syndicats en font la demande ?

S.B : Normalement non.

Gandalf : Imaginons un service de 25 personnes, avec des spécificités techniques pointues mais obsolètes à l’heure du numérique. Cas classique pour les dix années à venir le temps de remplacer une génération. L’entreprise ne sera-t-elle pas tentée par ce dispositif de rupture collective plutôt qu’un plan de formation de senior (dès 40 ans on le rappelle) ? Et si un service entier est concerné, cette histoire de volontariat est un mensonge personne ne pourra résister à la disparition de son service !

S.B : C’est justement ce que craignent les syndicats de salariés. Ils ont peur que sous la pression d’un employeur faisant valoir des difficultés, les élus soient obligés de signer et que les salariés y participent pour les mêmes raisons.

Chris : En réalité, le gouvernement ne compte-t-il pas sur le fait que les entreprises voulant faire un RCC soient dans l’obligation d’être généreuse voire très généreuse pour s’éviter un PSE et ainsi compenser la perte du contrat de sécurisation ?

S. B : Difficile à dire, nous ne pouvons préjuger des intentions du gouvernement. Les employeurs auront en effet intérêt à être généreux. Mais les sommes versées ne compensent pas toujours le suivi renforcé que peut assurer Pôle emploi.

En forme : Est-ce que la rupture collective est associée à un dispositif de formation ou a-t-on prévu de balancer des salariés qui seront souvent des seniors peu réemployables en l’état avec un chèque, ce qui ne serait pas en soi une grande nouveauté ?

S.B : Le gouvernement a lancé, juste après la signature des ordonnances, une vaste réforme de la formation professionnelle ainsi qu’un plan d’investissement dans les compétences de 15 milliards d’euros sur cinq ans. Difficile de dire quels en seront les résultats, et s’ils permettront de résorber le chômage (il n’y a pas de consensus des économistes sur la question) mais l’intention affichée est bien celle-là. La refonte de la formation, de l’apprentissage et de l’assurance chômage sont supposés être le volet protection des réformes sociales du gouvernement d’Emmanuel Macron.