Lionel Messi célèbre un but face au Celta Vigo, en Coupe du Roi, le 11 janvier 2018. / ALBERT GEA / REUTERS

« Més que un club. » « Plus qu’un club », en français. Telle est la devise du FC Barcelone, la machine à titres du football européen qui a toujours assuré que les valeurs de son institution passeraient avant les intérêts des individualités qui la composent. « Aucun joueur ne peut prétendre être au-dessus du club », clamait encore le président Josep Maria Bartomeu après le départ de Neymar pour le Paris Saint-Germain l’été dernier.

Ce discours est mis à mal par les nouvelles révélations des Football Leaks, qui montrent à quel point les dirigeants catalans sont prêts à revoir leur logique lorsqu’il est question de Lionel Messi.

Selon les documents dévoilés vendredi par le consortium de journalistes d’investigation European Investigative Collaborations (EIC), dont le site français Mediapart, le Barça a largement cédé aux caprices de son astre argentin pour qu’il accepte de prolonger son contrat le 25 novembre dernier. Selon un pré-contrat établi durant l’été, le clan Messi et l’état-major barcelonais s’étaient mis d’accord sur un salaire de plus de 100 millions d’euros brut par saison jusqu’en 2021. Il pouvait même atteindre les 122 millions d’euros grâce à divers bonus. Il est possible que l’entourage de l’Argentin ait continué à faire monter les enchères jusqu’au mois de novembre, date de signature du contrat par l’attaquant.

Des critiques réduits au silence

Comme le souligne Mediapart, c’est la première fois qu’un footballeur s’assure un tel pactole. À titre de comparaison et d’après les chiffres avancés par les Football Leaks, Neymar toucherait près de 36,8 millions d’euros net par an au Paris Saint-Germain, soit près de 52 millions d’euros brut. Un salaire qui ferait presque passer la star brésilienne pour un attaquant de seconde zone au regard du deal conclu par son ancien coéquipier, dont le poids dépasse amplement celui du terrain à Barcelone. Peut-être même un peu trop pour certains dirigeants, qui se seraient inquiété des privilèges accordés à Messi.

Lionel Messi avec son entraîneur Ernesto Valverde, le 11 janvier 2018, lors d’un match de Coupe du Roi face au Celta Vigo. / ALBERT GEA / REUTERS

« Le joueur doit réaliser à quel point son salaire est disproportionné par rapport au reste de l’équipe », aurait écrit l’un d’entre eux dans un courriel envoyé au père-agent de Messi, Jorge Horacio. Un message qui n’a visiblement pas beaucoup pesé dans les négociations. Avec des patrons prêts à satisfaire toutes ses demandes pour le dissuader d’aller voir ailleurs, Messi a toujours eu un statut d’intouchable en Catalogne. Ancien directeur du centre d’entraînement, Pere Gratacos avait pu le constater en janvier 2017. En poste depuis 2010, il avait pris la porte pour avoir osé s’en prendre à celui qui fêtera ses 31 ans en juin.

« Barcelone n’en est pas là uniquement grâce à Messi. Il est très important, mais c’est l’équipe qui gagne. Sans Neymar, Suarez, Piqué et les autres, il ne serait pas un si bon joueur », avait-il déclaré en conférence de presse, s’attirant ainsi les foudres de Bartomeu.

En position de force

Un an et demi avant cet épisode, Javier Faus, alors vice-président en charge des dossiers économiques du club, avait lui été contraint de plaider coupable après avoir confié aux médias espagnols que le Barça n’avait aucune raison « d’améliorer le contrat de quelqu’un qui a déjà été augmenté il y a six mois ». La réponse de Messi n’avait pas tardé.

« M. Faus est une personne qui ne connaît rien au football et qui veut gérer le FC Barcelone comme si c’était une entreprise, mais ce n’est pas le cas », avait lâché l’Argentin, qui avait eu droit à des excuses publiques. « Messi a raison, je ne connais rien au football. C’était juste un petit malentendu qu’on a traité avec son père et lui. Nous lui avons fait un nouveau contrat », s’était justifié Faus, qui ne fait aujourd’hui plus partie de l’organigramme du Barça.

Par son palmarès, ses qualités balle au pied et sa notoriété, Messi fait partie des rares joueurs au monde à pouvoir se placer au-dessus de l’institution que représente son club. Cristiano Ronaldo entre évidemment lui aussi dans cette catégorie. Le Portugais sait pertinemment que sa direction ne cherchera jamais à le froisser, sous peine de voir filer un élément dont la valeur symbolique est devenue au moins aussi grande que la valeur sportive.

Neymar peut prétendre au même statut. Avec lui, le PSG n’a pas seulement recruté un Ballon d’or en puissance capable de lui faire gagner la Ligue des champions. Il s’est aussi attaché les services d’un joueur au potentiel marketing immense, qui compte plus d’abonnés (37,1 millions) sur Twitter que le PSG (6 millions) et qui peut lui permettre de signer de nouveaux partenariats avec des marques. En position de force, Neymar dispose des armes pour que ses dirigeants cèdent à toutes ses requêtes.

« ALELUYAAAAAAAAAAAAAAAAAA »

Comme le Real avec Ronaldo et Paris avec Neymar, le Barça ne craint qu’une seule chose : un départ de sa vedette. Dans un courriel dévoilé par les Football Leaks, le directeur général du Barça Oscar Grau Gomar définit la prolongation de Messi comme « vitale pour le FC Barcelone ». Lorsque le père de Messi signe, en juillet dernier, le contrat liant son fils au Barça jusqu’en 2021, le directeur juridique du club Roman Gomez Ponti envoie un courriel à Oscar Grau qui ne contient qu’un seul mot, en objet du message : « Aleluya ». Il est écrit en lettres majuscules et avec soixante-huit « A ».

Vénéré dans sa ville d’adoption, Messi a toujours été défendu par sa direction, même lorsqu’il a été condamné en juillet 2016 par le tribunal de Barcelone à 21 mois de prison, avec sursis, pour fraude fiscale. Bartomeu avait alors lancé une campagne surprenante sur les réseaux sociaux.

Il avait demandé aux internautes de soutenir Messi en postant des messages avec le hashtag #TodosSomosLeoMessi (« Nous sommes tous Leo Messi »). « Leo, ceux qui t’attaquent attaquent aussi le Barça et son histoire. Nous nous défendrons jusqu’au bout », avait-il écrit sur Twitter, avant de voir le hashtag #YoNoSoyLeoMessi (« Moi je ne suis pas Leo Messi ») être massivement repris pour dénoncer son attitude. Définitivement condamné en mai dernier par la Cour suprême espagnole, Messi a pu constater la fidélité de son président dans une autre affaire fiscale.

D’après les Football Leaks, il aurait eu droit dans son nouveau contrat à une prime à la signature et à un bonus dit de « loyauté » d’un montant total de 133,5 millions d’euros. Un cadeau pour le récompenser de son attachement aux Blaugrana, mais également pour le sortir d’une affaire dans laquelle il serait empêtré avec sa formation. Les inspecteurs du fisc espagnol chercheraient à savoir si les sommes versées par le Barça à sa fondation entre 2010 et 2016, pour une valeur de plus de 12 millions d’euros, étaient destinées à éviter des impôts, sur les sociétés pour le Barça, et sur les revenus pour le joueur.

Rodolphe Ryo