Open d’Australie : blessées ou fatiguées, les stars du tennis se mettent sur courant alternatif
Open d’Australie : blessées ou fatiguées, les stars du tennis se mettent sur courant alternatif
Par Corentin Lesueur
Absents de l’Open d’Australie ou de retour d’une longue pause, les cadors du tennis masculin adaptent désormais leur calendrier à leur corps souffrant, à l’image de Roger Federer. De quoi nuire à l’intérêt du sport ?
De retour sur le circuit après six mois d’absence, Novak Djokovic étrennera un manchon au coude droit à Melbourne. / DAVID GRAY / REUTERS
Hanche, cheville, poignet, genou, coude : le circuit ATP grince de partout. Premier grand rendez-vous de l’année, l’Open d’Australie (du 15 au 28 janvier) affiche un tableau masculin amputé de plusieurs têtes d’affiche (Murray, Nishikori). D’autres, encore convalescents (Djokovic, Wawrinka) ou sous la menace d’une rechute (Nadal), ont fait le voyage jusqu’à Melbourne sans certitude sur leur réel niveau, celui d’avant la blessure.
Au point que, comme en 2017, l’ancien Roger Federer, passé maître dans l’art de gérer son corps, est celui qui présente le plus de garanties physiques avant le premier Grand chelem de la saison, dont il est tenant du titre.
Voilà deux saisons que les blessures émiettent les corps des meilleurs joueurs du monde. Ce ne sont pas de simples bobos mais des blessures longues, qui en ont poussé beaucoup à interrompre leur saison dès cet été. La pause hivernale, rythmée par les exhibitions asiatiques grassement payées et les sessions d’entraînement au bord du golfe Persique, n’a pas suffi à remettre sur pieds les cadors, tombés au-delà du top 10 d’un classement ATP qui ne pardonne aucune faiblesse.
Nadal : « Jouer sans douleur n’arrive pas souvent »
Que le tennis soit traumatisant n’est pas nouveau. Mais le fait que les saisons morcelées concernent désormais tous les joueurs les mieux préparés l’est davantage.
« En vérité, jouer sans douleur n’arrive pas souvent, confiait Rafael Nadal au Monde en fin de saison dernière. La plupart du temps, on peut vivre avec grâce aux anti-inflammatoires. C’est une chose avec laquelle il faut apprendre à vivre. »
De retour au plus haut niveau en 2017 - vainqueur de Roland-Garros et de l’US Open - après des mois passés loin des terrains, le numéro un mondial maîtrise le mal plus qu’il ne le domine. Refusant de s’apitoyer sur un corps au bord de la rupture.
Stanislas Wawrinka, opéré deux fois d’un genou cet été, admet dans L’Equipe avoir trop souvent fait « surchauffer » son moteur pour profiter de son meilleur tennis, et cite l’usure mentale de la vie de joueur du top 5 mondial.
« Ces blessures sont celles de l’usure et de la quantité. Mais on a la chance d’être au top, c’est une belle usure. Et puis gagner est addictif, on en veut toujours plus : pour avoir plus, il faut faire plus, pour faire plus on pousse encore plus et, à un moment, ça lâche. Quand on est en haut, tout est plus dur. »
Not the place I wanted to be 🤒but 2nd surgery went well 😓😅! That's mean I can start my preparation 🕺🏻... 2018 see y… https://t.co/qvKzR07rbY
— stanwawrinka (@Stanislas Wawrinka)
Jouer en bonne santé est-il devenu impossible dans le tennis moderne, où aucun match n’est facile et où le rythme est considérablement plus rapide qu’il y a trente ans ? « Les blessures font l’actualité car elles touchent les plus connus, mais tout le circuit est concerné, confirme le néo-retraité Paul-Henri Mathieu, ancien douzième mondial. Je jouais chaque match sous anti-inflammatoires, comme près de la moitié des joueurs. »
Des joueurs qui s’écoutent enfin
Si les « bobos » plus ou moins sérieux n’ont jamais épargné les représentants d’un sport parmi les plus traumatisants pour l’organisme, l’hécatombe actuelle frappe par le prestige de ses victimes. Des sportifs pourtant rompus à l’enchaînement des compétitions et entourés d’une pléiade de préparateurs physiques et autres kinésithérapeutes, chargés de détecter la moindre alerte.
« En termes d’exigence physique, il y a une division d’écart entre les meilleurs mondiaux et le reste du top 100, résume Maurice Joris, médecin de l’équipe belge de Coupe Davis. Murray, Djokovic ou Nadal ont atteint les limites physiologiques de leur corps. C’est presque rassurant qu’ils craquent. » La blessure ne résulterait donc plus seulement d’un manque de préparation mais poindrait inévitablement chez qui veut éprouver ses limites pour espérer soulever un trophée du Grand Chelem.
Passage obligé du joueur de tennis professionnel, la blessure est désormais mieux prise en compte par les cadors, qui actent leurs limites physiques et adaptent en conséquence leur jeu et leur calendrier, quitte à se pénaliser dans l’immédiat.
Médecin personnel de l’endurant David Goffin - 7e joueur mondial et recordman du nombre de matchs disputés en 2017 -, Maurice Joris décrit une prise de conscience salutaire par la blessure : « Les joueurs qui n’ont jamais connu la blessure vont vouloir aller au bout, jusqu’à la rupture. Depuis l’entorse subie par David à Roland-Garros, l’année dernière [le Belge est resté éloigné des courts plus de deux mois], il raisonne différemment, apprenant progressivement à se préserver. Nous contrôlons une vingtaine de variables pour déterminer son état de forme et décider de sa participation ou non à un tournoi : fuseau horaire, sieste, pollution de l’air… »
Les saisons 2017 de Roger Federer et Rafael Nadal servent de références. Revenus l’an passé aux deux premières places mondiales après en avoir été éloignés longuement pour soigner un genou - chez l’Espagnol - et le dos - pour le Suisse -, les deux trentenaires élaborent leurs calendriers respectifs sous la dictée d’une douleur intériorisée.
Un programme à la carte
Incapable à 36 ans de s’aligner sur l’ensemble des tournois sans risquer la rupture définitive, Federer a tiré un trait sur la saison 2017 de terre battue pour se concentrer sur la conquête des principaux trophées sur dur et gazon, ses surfaces de prédilection. Épargné par les pépins physiques pendant quinze ans, « FedEx » a su réorganiser son programme et son jeu dès la première grosse alerte de sa carrière. En 2016, le Suisse a fait le choix de « donner du temps » à son corps, lassé de composer avec la douleur. Dans L’Equipe :
« À un moment donné, tu n’as juste plus envie de jouer comme ça. Parce que tu sais que tu ne peux plus gagner, tu te fais mal, tout devient de pire en pire et, là, tu penses au futur. Tu te dis : comment je ferai à quarante-cinq ans pour aller skier ? Ah, ça sera plus possible ? Alors tu sais quoi, je vais prendre une pause. Parce que, moi, j’ai encore envie de faire des choses après ma carrière. »
Opéré à la hanche au début du mois de janvier, Andy Murray a déjà reporté son retour à la saison sur gazon, en juin prochain. Dans une déclaration à la BBC, l’Écossais et ancien numéro un mondial évoque un programme à la carte, en droite ligne avec celui élaboré par Federer : « Je vais jouer un emploi du temps réduit, puis je me concentrerai davantage sur les grands événements et les grands tournois plutôt que d’essayer d’atteindre certains objectifs de classement. »
Derrière l’hécatombe qui décime actuellement le circuit masculin, se dessine un tennis à la carte, privant certains tournois majeurs des meilleurs joueurs. Une perspective qui menace le modèle du feuilleton ininterrompu sur 10 mois, qui a fait le succès économique du tennis.