Un ex-employé du Front national révèle les coulisses de la campagne présidentielle de Marine Le Pen
Un ex-employé du Front national révèle les coulisses de la campagne présidentielle de Marine Le Pen
Les sites d’information « Mediapart » et « BuzzFeed News » ont publié le témoignage et les documents révélant l’« amateurisme total » qui régnait au parti d’extrême droite.
Marine Le Pen, en mai 2015 à Paris. / Francois Mori / AP
Ce dimanche 14 janvier, Mediapart et BuzzFeed News ont publié plusieurs articles documentés retraçant les nombreuses difficultés d’organisation du Front national de Marine Le Pen durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2017.
Le témoignage dans Mediapart de Mickaël Ehrminger, arrivé au parti frontiste en 2011, est particulièrement édifiant et dresse le portrait d’un parti miné par les conflits de clans, le manque de cadres dirigeants expérimentés et le manque d’organisation qui en découle.
Le militant, qui explique avoir travaillé aux pôles logistiques et rédaction (chargé de l’argumentaire) de la campagne de Marine Le Pen, témoigne de ce qu’il qualifie d’« amateurisme total ». Selon Ehrminger, qui a quitté le Front National en août 2017, après la campagne des législatives, « tout se faisait au dernier moment » : les tracts, commandés en urgence (« quitte à payer un supplément de livraison pour que cela soit plus rapide »), les déplacements (« parce qu’au début, il y avait des fuites »).
L’ancien chargé de mission, qui travaillait dans l’équipe de Florian Philippot, décrit Marine Le Pen comme une candidate « sans ligne directrice », se laissant influencer par le conseiller qui sera passé en dernier dans son bureau, capable de dire une chose et son contraire en l’espace d’une journée. Occupé entre ses mandats de maire et de sénateur et habitant à 600 km de là, son directeur de campagne, David Rachline, n’est que très peu présent, selon les mots de l’ancien employé : « Il dit oui pour faire plaisir à tous, mais rien ne se passe. Il n’y a pas de coordination, pas de stratégie. »
Florian Philippot n’est pas non plus épargné par le témoignage de l’ancien employé, qui qualifie la ligne de l’ancien numéro deux du parti comme « totalement floue, changeant selon le sondage du jour ». « Philippot, c’est un serpent. Il se faufile là où il y a une opportunité politique. »
Une guerre de clans permanente
Ehrminger raconte également comment l’organisation de la campagne a souffert de l’opposition entre certains clans, engagés dans une lutte d’influence autour de Marine Le Pen.
« L’opposition était réelle entre les vieux du Front (…) et les philippotistes qui étaient en haut. Le moindre pépin mène à un conflit qui remonte jusqu’à Marine Le Pen, qui doit intervenir. »
Le groupe de conseillers qui entoure la candidate est aussi miné par les conflits personnels. L’opposition est si forte et systématique que « les déplacements, les meetings, les conférences présidentielles » sont préparés à la dernière minute.
Le débat Macron-Le Pen au sommet de l’impréparation
Pendant toute la campagne, Mickaël Ehrminger est chargé de rédiger et fournir des fiches synthétiques pour alimenter l’argumentaire de la candidate frontiste et de ses soutiens qui courent les plateaux télés. Pourtant, ces fiches ne sont d’après lui « jamais consultées ».
« On se dit “il y a un souci, on bosse toute la journée, on scanne l’actualité pour faire des fiches, que ce soit pédago, compréhensible, pour qu’elle comprenne, apprenne, et en fait, ces fiches ne sont jamais consultées”. C’est de la déception, on se dit qu’on travaille pour rien. »
Le débat d’entre-deux tours, programmé le 3 mai, entre Emmanuel Macron et la candidate frontiste va se révéler être un sommet d’impréparation sur le fond des questions politiques pour Marine Le Pen, qui, la veille encore, n’avait pas « le planning libéré pour se préparer ».
Comme le relatait Le Monde en juillet 2017 et comme en attestent les documents que s’est procurés Mediapart, la candidate ne reçoit que le 2 mai au soir des éléments de stratégie pour se préparer face à Emmanuel Macron de la part de Philippe Vardon, un ancien leader identitaire qui lui conseille de se préparer à des attaques de Macron sur son « entourage radical », ou de Damien Philippot qui lui recommande de « dégrader l’image de Macron, quitte à perdre en crédibilité », et d’être « tout le temps dans l’offensive, de manière calme et souriante ».
Le pôle rédaction n’est sollicité que le jour du débat, vers midi, pour fournir un certain nombre de fiches. « Là on se demande à quoi on a servi pendant tout ce temps. (…) Tout ce que nous avons produit, elle n’est pas au courant. On avait un peu préparé des fiches, de notre côté, en amont, on savait qu’il allait en falloir, mais de toute façon, vingt-quatre heures pour apprendre et réfléchir dessus, ça ne suffit pas », commente Ehrminger, qui dépeint une candidate « bonne oratrice » mais « nulle » face à d’autres candidats ayant « un peu plus travaillé ».
« Elle a été élue présidente du Front en 2011, on était en 2017, elle avait six ans pour se mettre à jour en économie, en social, etc. Elle débarque la veille du second tour et croit que tous les médecins sont fonctionnaires ! Elle ne sait pas ce qu’est une monnaie, comment ça marche, elle ne connaît pas les institutions, le droit, pourtant elle est avocate. »
Problèmes de trésorerie
Le témoignage de l’ancien employé jette également une lumière crue sur la gestion des finances durant la campagne. Alors que la campagne bat son plein, Jean-Michel Dubois, qui est chargé des financements, alerte la direction du parti et engage brutalement des baisses de dépenses, « Dubois a dit “stop les dépenses, on arrête tout”. Il fallait économiser tous les bouts de chandelle, il y avait un problème d’argent », selon Ehrminger.
C’est ainsi que de grosses dépenses de campagne ont été annulées, dont des « projections en 3D, des sortes d’hologrammes dans les airs » ou encore « la moitié des commandes de tracts ».