LES CHOIX DE LA MATINALE

Au fil des nominations et des cérémonies, les studios américains égrènent les films candidats à l’Oscar. Cette semaine, c’est au tour de l’Anglo-Irlandais Martin McDonagh d’ouvrir le bal des sorties. Il est accompagné d’une comédie polonaise si noire qu’elle ressemble à une tragédie, d’un semi-documentaire algérien et de deux classiques de l’âge d’or hollywoodien.

Les barbecues de la vengeance : « Three Billboards »

3 Billboards, Les Panneaux de la Vengeance | Bande Annonce [Officielle] VOST HD | 2017 #1
Durée : 02:38

Le racisme policier, le courage qu’il faut à une femme pour affronter l’autorité patriarcale : les thèmes de Three Billboards semblent jaillis de l’actualité. Pourtant, le projet de l’auteur anglo-irlandais Martin McDonagh est vieux de plusieurs années, et le tempérament de ce dramaturge à succès devenu réalisateur (Bons Baisers de Bruges, 7 Psychopaths) ne le porte guère aux bons sentiments. Si bien que Three Billboards, dont la trajectoire semblait toute tracée, fait des embardées imprévisibles et réjouissantes, sous la conduite magistrale (car on peut être une maestra des embardées), de Frances McDormand, qui donne une dimension épique et comique au personnage de Mildred Hays, la mère endeuillée qui fait apposer trois grands panneaux à l’entrée de la ville d’Ebbing (Missouri) pour reprocher à la police locale de ne pas en avoir fait assez pour retrouver les violeurs et assassins de sa fille.

Comme, en plus, les policiers d’Ebbing ont le privilège d’être interprétés par Woody Harrelson (le chef) et Sam Rockwell (son subordonné raciste et brutal), on ne perd pas une réplique des dialogues brillants de Martin McDonagh. En toute logique, le film a déjà accumulé quelques Golden Globes et semble bien placé pour les Oscars. Thomas Sotinel

Film américain de Martin McDonagh. Avec Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell, Peter Dinklage (1 h 55).

Sit-tragi-com à la polonaise : « The Last Family »

THE LAST FAMILY - Bande-Annonce // Au cinéma le 17 janvier
Durée : 01:31

Pour un public polonais, l’histoire de la famille Beksinski – aussi extraordinaire (chaque membre du clan est affligé d’une personnalité hors du commun) que banale (ce qui ne les empêche pas de s’empêtrer dans des conflits communs à toutes les familles) – prend un relief particulier. Zdislaw Beksinski était un peintre fameux, son fils Tomasz une personnalité des médias à la fin du siècle dernier, Zofia, leur mère et épouse, une intellectuelle d’un certain renom. Arrivés sur un écran parisien, les Beksinski sont de parfaits inconnus, et le déploiement de leur destin bénéficie d’un effet de surprise dont ont été privés leurs compatriotes.

Cet étonnement, qui s’installe dès le début du film pour ne s’éteindre qu’au dernier plan, ne tient pas seulement à la singularité du destin de cette famille, frappée par une série de catastrophes dont l’accumulation fait hésiter entre le rire jaune et l’affliction. Jan P. Matuszinski le met en scène avec une violence méthodique nuancée par un humour étonnamment chaleureux et des partis pris de mise en scène dont l’audace s’avère payante : une fois que l’on émerge de la fascination (certes un peu morbide) que suscite l’histoire des Beksinski, on s’aperçoit que cet état proche de l’hypnose résulte d’une étonnante maîtrise du cinéma. T.S.

Film polonais de Jan P. Matuszynski, avec Andrzej Seweryn, Dawid Ogrodnik, Aleksandra Konieczna (2 h 03).

Les soixante-douze vierges du désastre : « Enquête au paradis »

Enquête au paradis - Fipa 2017
Durée : 01:40

Retour de Merzak Allouache, 73 ans, pugnace comme jamais, sur les écrans. D’aussi loin qu’on se souvienne, l’homme navigue au gré d’une histoire violente entre l’Algérie, son pays natal, et la France, où il a effectué une partie de sa carrière. Enquête au paradis est un documentaire fictionnalisé. Entendons par là que l’essentiel y procède d’une enquête classique, mais que la personne qui la mène est une actrice interprétant le rôle d’une journaliste. Laquelle consiste en une succession de rencontres focalisées sur la croyance en ce fameux paradis doté de vierges rétribuant généreusement au ciel les hommes qui se seront sacrifiés sur terre pour leur dieu.

La question s’adresse, de manière très différente d’ailleurs, à trois types d’interlocuteurs : propagateurs de la doctrine, qui n’apparaissent qu’à travers des extraits de cassettes de prêche ; l’homme de la rue – adolescent connecté ou vieillard ; intellectuels susceptibles d’apporter, depuis leur position particulière, une explication à ce phénomène (depuis les écrivains Kamel Daoud et Boualem Sansal jusqu’à l’actrice Biyouna, en passant par le militant socialiste Fethi Gherras). Autant d’interventions qui convergent dans la description d’un désastre politique, culturel et social de grande envergure dans une Algérie contemporaine où le multiculturalisme, le progressisme et la démocratie ont été laminés, entre autres par l’enseignement d’une théologie de la mort qui sape l’envie de vivre et de se battre pour améliorer l’ici-bas. L’inverse, on l’aura compris, de ce que fait ce documentaire pétri de vitalité. Jacques Mandelbaum

Film franco-algérien de Merzak Allouache. Avec Salima Abada, Younès Sabeur Chérif, Aïda Kechoud (2 h 15).

Des vaches et des hommes : « La Rivière rouge »

bande annonce La Riviere Rouge (Red River - 1948 - d'Howard Hawks)
Durée : 01:52

Si vous voulez voir un film à grand spectacle dont le personnage secondaire le plus attachant est nommé Groot et que vous avez déjà vu les deux épisodes des Gardiens de la galaxie, prenez donc un billet pour La Rivière rouge d’Howard Hawks qui revient dans les salles, soixante ans après sa première. Ce Groot-là est un vieux cow-boy, qui a pour prénom Nadine et pour trogne celle de Walter Brennan, vieux complice d’Howard Hawks.

Vieil homme édenté, Brennan incarne le fidèle compagnon de la star de La Rivière rouge, John Wayne, qui, lui, tient le rôle d’un pionnier établi au Texas au milieu du XIXe siècle, devenu un magnat de l’élevage. L’essentiel du film est consacré à l’épique transhumance d’un troupeau de milliers de bovins (ce qui fit dire à Hawks « Allez donc dire à 1 200 vaches ce qu’elles doivent faire ! ») de la frontière mexicaine aux premiers terminus de chemin de fer du Far West. A cette épopée infiniment spectaculaire répond la rivalité entre Thomas Dunson (Wayne), vieil homme brutal et avide, et son fils adoptif, Matt Garth (Montgomery Clift), incarnant les valeurs de réconciliation appelée à prendre la place de la brutalité qui a présidé à la conquête du territoire. Sans idéalisme, avec son sens habituel du burlesque et de la cruauté, Howard Hawks fait de ce convoi de vaches l’image de chair et de viande du destin américain. T. S.

Film américain d’Howard Hawks, avec John Wayne, Montgomery Clift, John Ireland, Walter Brennan, Joanne Dru (2 h 13)

Au temps où Walt tenait encore pinceau et crayon : « Alice Comedies 2 »

Alice comedies vol. 2 - Bande annonce
Durée : 02:18

Les Alice Comedies reviennent sur les écrans avec un nouveau programme de quatre épisodes. Sous ce nom se cache une série de courts-métrages (56 au compteur) réalisés par le célèbre Walt Disney entre 1923 et 1927, lors de ses débuts à Hollywood, avec le concours de l’animateur Ub Iwerks, son associé. Ils mettent en scène le personnage d’Alice, une petite fille hardie – incarnée par différentes interprètes (Virginia Davis, Margie Gay ou Lois Hardwick) – projetée dans un bestiaire de toons turbulents, en référence à l’héroïne de Lewis Carroll. Ces petits films, issus de la période du muet, ont cette particularité de reposer sur une technique composite, mêlant avec habileté l’animation et les prises de vues réelles.

La rencontre entre Alice, filmée en chair et en os, et les toons polymorphes peut avoir lieu soit dans la parenthèse d’un rêve (Jour de pêche, 1924, qui commence comme un épisode des Petites Canailles), soit plus directement dans le monde parodique du dessin animé, où la petite fille surgit chaque fois sous des costumes différents, comme une héroïne de western (L’Ouest moutonneux, 1926), de chapiteau (La Magie du cirque, 1927) ou de conte (Alice joueuse de flûte, 1924). Le charme primitif et la facture inventive de ces courtes bandes sont restés intacts à travers les âges. Parents et ­enfants en redemandent. Mathieu Macheret

Courts-métrages américains de Walt Disney. Avec Virginia Davis, Margie Gay ou Lois Hardwick. (4 x 10 min.)