Joel Embiid est, à 23 ans, l’un des meilleurs intérieurs cette saison en NBA. / Rob Carr / AFP

« On ne sait jamais » : en quatre mots, répondant à la question d’un journaliste français sur son avenir en sélection, l’intérieur camerounais Joel Embiid, jeune vedette du basket international, a semé un début de zizanie dans le basket français.

C’était le vendredi 12 janvier, lors de la conférence de presse précédant un match de NBA délocalisé à Londres entre les Boston Celtics et les 76ers de Philadelphie, franchise que Joel Embiid porte sur ses larges épaules. Et entre le Cameroun, d’où il est originaire, les Etats-Unis, où il vit aujourd’hui, et la France, où il a des attaches, Embiid dit ne pas avoir tranché.

« Je ne viens pas de France, mais ce serait une belle opportunité. J’y ai de la famille. Pour l’instant, je n’ai pas eu d’offres, du Cameroun, de la France ou d’ailleurs, mais on ne sait jamais. »

La réponse est assez ambiguë pour lancer une série de spéculations sur la possibilité de voir un jour en bleu un joueur candidat au All Star Game et présentant cette saison des statistiques de 23,8 points et 10,8 rebonds par match.

Dès le lendemain, Patrick Beesley ancien directeur technique national (DTN) et actuel manageur général à la Fédération française de basket (FFBB), fait comprendre que la porte n’est pas fermée. « C’est un signal qui mérite d’être creusé, dit-il dans L’Equipe, rappelant que cette hypothèse avait déjà été évoquée en 2016. Il avait manifesté son intérêt. Mais ce n’était pas allé plus loin. »

Fournier : « C’est dérangeant »

Les propos du joueur, que certains pourraient considérer comme un appel du pied, a visiblement incité la Fédération à relancer les discussions pour sonder la volonté du joueur. Elle n’est pas seule. L’Equipe rapporte que « Nicolas Batum et Boris Diaw auraient déjà fait du lobbying auprès du joueur de Philadelphie pour le convaincre de franchir le pas ».

Une démarche qui ne fait pas l’unanimité parmi les actuels internationaux français.

Dans une série de tweets, Evan Fournier, l’arrière des Orlando Magics, a rappelé que, pour lui, « l’équipe nationale, c’est pas juste un challenge sportif ».

« Pour moi, jouer pour un pays avec lequel tu n’as pas d’attaches, c’est dérangeant. C’est pas du tout contre Joel. Ça me dérange quand les autres sélections le font et c’est donc valable pour l’équipe de France. »

« Les équipes nationales, c’est pour représenter son pays, récompenser la formation, mettre en avant une fédé, les entraîneurs de jeunes. C’est tout un système », a dit, dans la même veine, l’international français Edwin Jackson.

« Toutes les personnes qui sont pour qu’Embiid soit en équipe de France, ne venez pas dire : nous sommes pour la formation française, faut faire avancer les clubs, etc. »

Rudy Gobert, actuel titulaire du poste en équipe de France, ne s’est pas exprimé sur les hésitations de Joel Embiid. / Gene Sweeney Jr. / AFP

L’arrivée d’Embiid en bleu alors que la France ne manque pas de talents confirmés (Gobert, Lauvergne, Séraphin) ou en devenir (Tillie, Poirier, les frères Fall) dans ce secteur pourrait aussi être mal vu par les joueurs déjà installés. Ou comme le dit Evan Fournier : « Le respect pour Rudy [Gobert], il est où ? »

Une rencontre en février

Joint mercredi 17 janvier, après ces réactions réservées de deux joueurs majeurs de l’équipe de France, le président de la Fédération, Jean-Pierre Siutat, préfère éteindre le début d’incendie.

« Nous avons eu un contact avec Joël il y a deux ans, mais cela n’a pas été très poussé », dit-il. Rien n’indiquait à l’époque une volonté du joueur de faire partie de l’équipe de France. Et rien ne l’indique aujourd’hui. Or, pour M. Siutat, c’est la condition sine qua non pour en être.

« Tout le monde aimerait avoir un joueur de 2,13 m qui marque 20 points par match. Mais je préfère avoir une équipe de garçons et de filles, qui ont envie d’être là. En parler aujourd’hui est un faux débat. »

Jean-Pierre Siutat, président de la Fédération française de basket-ball. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

La Fédération veut tout de même en avoir le cœur net, et une délégation rencontrera Joel Embiid à Philadelphie au mois de février pour aborder, une nouvelle fois, la question.

Jean-Pierre Siutat rappelle qu’une naturalisation, et donc une place éventuelle en équipe de France, est un processus long, qui se mérite, en vue des prochaines échéances (Coupe du monde en 2019, Jeux olympiques en 2020). A l’image de l’intérieur sénégalais Youssoupha Fall, arrivé en France en 2012 et désormais éligible, après avoir obtenu la nationalité en mars 2017. Surtout, la Fédération ne tient pas à imiter son homologue espagnole, dont Jean-Pierre Siutat ne se privait pas de dénoncer le comportement il y a moins d’un an.

En 2017, il dénonçait dans Le Monde le « pillage » des talents du continent, notamment par l’Espagne « dont les équipes de jeunes ont toujours un ou une Africaine ».

« Je ne veux pas qu’on soit taxé d’aller chercher des talents comme d’autres le font. Les jeunes joueurs ne sont pas licenciés et ne sont donc pas protégés. Et, à terme, ils ne représentent plus leur pays. Je souhaite, au contraire, que les joueurs soient licenciés dans leur pays, jouent pour leur pays et que leur éventuel départ soit régulé par la Fédération internationale. »

Faire la cour à Embiid reviendrait à se contredire, même si son cas n’est pas celui d’un tout jeune basketteur africain que la France viendrait attirer en sortant son chéquier. Embiid est déjà, à 23 ans, une superstar de la NBA qui a signé un contrat de 148 millions de dollars et dont chaque décision est soupesée à l’aune de ce statut.

Son cas rappelle celui d’un autre intérieur d’origine africaine, le Congolais Serge Ibaka. Passé, deux mois seulement, par l’équipe de Prissé-Mâcon en Nationale 2 en 2006, il arrivera au fil des accords entre clubs, fédérations et agents dans le club espagnol de L’Hospitalet. Il y jouera deux saisons, sera drafté par les Oklahoma Thunders et prendra la nationalité espagnole en 2011.

La polémique sur sa naturalisation ne l’avait pas empêché d’aider son pays d’adoption à remporter, cette année-là, le championnat d’Europe… en battant la France en finale.