C’est une idée vieille de plusieurs siècles qui passionne autant qu’elle divise. Alors que le revenu universel s’est invité au cœur de la campagne présidentielle et reprend du terrain en Europe, Julien Bayou (porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts, EELV) n’entendait pas « laisser retomber le débat », lui qui milite depuis des années pour cette idée d’une allocation versée à tous pendant la vie entière.

D’autant moins à l’heure où plusieurs territoires français souhaitent l’expérimenter. Dernier en date : la commune de Grande-Synthe. En novembre, ce sont huit présidents de département socialistes qui faisaient part de leur volonté de tester ce dispositif, souhaitant porter un « projet d’expérimentation au Parlement ».

En attendant de savoir si ces expérimentations de terrain pourront voir le jour, l’association Mon revenu de base (MRB), créée par M. Bayou (mais indépendante d’EELV) et une équipe de dix bénévoles, soutenue par le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), a lancé une première expérimentation citoyenne du revenu de base, à petite échelle, en s’appuyant sur une opération de financement participatif.

En un mois, près de 80 000 personnes se sont inscrites sur le site de l’association, dont 20 000 ont accepté de répondre à un questionnaire, et près 36 000 euros ont pu être récoltés, permettant de financer trois revenus de base de 1 000 euros par mois sur un an. Le 6 décembre, trois bénéficiaires ont été tirés au sort : Denis, Caroline et Brigitte. Dans la foulée, une nouvelle opération a été lancée, pour espérer pouvoir élargir l’expérience.

Les revenus versés ne sont pas cumulables avec les minima sociaux. Quant à savoir s’ils seront soumis à impôt, l’association reste en attente de réponse de l’administration fiscale.

Cette initiative française s’inspire directement d’une version similaire menée en Allemagne, Mein Grundeinkommen, qui, depuis sa création en 2014, a récolté suffisamment d’argent pour distribuer à 139 personnes un revenu de 1 000 euros par mois pendant un an.

Derrière la question apparemment simple posée par MRB – « Et vous, que feriez-vous avec 1 000 euros par mois pendant un an ? » –, l’idée est « d’amener le plus de gens possible à se projeter dans une protection sociale du XXIe siècle et à réfléchir à ce que serait leur vie avec un revenu garanti », explique M. Bayou :

« Est-ce qu’on s’arrête de travailler ? On travaille moins ou mieux ? On se nourrit mieux ? On prend du temps pour soi ? »
« Un filet de sécurité permettant aux individus de s’épanouir, de choisir leur vie »

Arguant du « manque d’efficacité du RSA pour vaincre la pauvreté » et de la nécessité de « repenser notre système de protection sociale », le militant défend l’idée que le revenu de base serait « un filet de sécurité permettant aux individus de s’épanouir, de choisir leur vie et de prendre des risques sans craindre l’extrême pauvreté ».

En étudiant l’impact de ce revenu dans la vie des trois bénéficiaires, mais aussi grâce aux témoignages des participants, l’association entend aussi tirer des enseignements. M. Bayou se dit d’ores et déjà frappé par la grande précarité qui en ressort : « près de 70 % disent avoir dû reporter des soins ».

Le revenu de base a déjà fait l’objet d’expérimentations à petite échelle et sous différentes formes dans plusieurs pays, notamment en Finlande, premier pays européen à l’expérimenter au niveau national, depuis janvier 2017 : 2 000 demandeurs d’emploi, âgés de 25 à 58 ans, ont été tirés au sort pour percevoir 560 euros par mois pendant deux ans.

Plusieurs limites

Si ces expérimentations ont le mérite de nourrir le débat public, Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste des politiques sociales, se montre toutefois sceptique quant à leur pertinence d’un point de vue scientifique. Il note ainsi plusieurs limites : la taille de l’échantillon, « souvent trop petit et non représentatif » ; le fait que plusieurs effets sociaux et économiques ne soient pas mesurables ; leur limitation dans le temps « alors que les individus ne réagissent pas de la même façon à des mesures temporaires ou pérennes », ou encore la question du financement, auquel elles ne permettent pas de répondre. En cela, la proposition développée par le MFRB d’expérimenter le revenu de base à un niveau communautaire (une ville par exemple), lui paraîtrait plus pertinente.

Conscient des limites et des « biais inhérents à tout projet d’expérimentation », M. Bayou estime que « cela ne doit pas empêcher d’essayer et n’invalide pas les enseignements à en tirer ». Il rappelle également que cette initiative citoyenne à petite échelle n’a pas la prétention de « conduire à une étude scientifique », pas plus que de répondre à la question complexe de la faisabilité du principe au niveau d’un Etat. « Le but est avant tout de faire irruption dans le débat public et d’amener la société à se saisir de cette question ».

Avec, à terme, un autre objectif poursuivi également par les départements candidats : qu’une loi autorisant l’expérimentation du revenu de base par les collectivités territoriales soit votée, alors que M. Macron a récemment fait part de son intention de « réformer la Constitution pour assouplir le droit à l’expérimentation ». Les expérimentations par les collectivités doivent en effet passer par le vote d’une loi qui en fixe le cadre.

En 2016, une mission d’information du Sénat avait proposé d’expérimenter rapidement « dans des territoires volontaires » différentes modalités d’un revenu de base.

Vendredi 19 janvier, les associations MRB et MFRB sont reçues à l’Elysée par une conseillère spéciale et par un délégué interministériel. L’objectif est de sensibiliser les pouvoirs publics sur la possibilité d’une expérimentation à plus grande échelle du revenu de base, dans le cadre du prochain plan de lutte contre la pauvreté. Plusieurs options de tests seront ainsi proposées, avec différents montants, territoires ou publics. Les associations ont évalué le coût de différents scénarios et réfléchi aux possibilités de financement, et espèrent convaincre du sérieux de leur démarche.

Le revenu universel, est-ce une bonne idée ?
Durée : 03:40