Des journalistes et des ONG dénoncent des « poursuites bâillons » de la part du groupe Bolloré
Des journalistes et des ONG dénoncent des « poursuites bâillons » de la part du groupe Bolloré
Dans une tribune, publiée mercredi, des journalistes et des ONG dénoncent les poursuites systématiques dont ils font l’objet quand ils s’intéressent aux activités du groupe Bolloré, notamment en Afrique.
Des sociétés de journalistes (dont celle du Monde), des journalistes et des organisations non gouvernementales (ONG) dénoncent, dans une tribune publiée mercredi 24 janvier, les poursuites systématiques dont ils font l’objet quand ils s’intéressent aux activités du groupe Bolloré, notamment en Afrique.
La publication de cette tribune survient alors que doit avoir lieu, ce jeudi, un procès qui oppose trois publications (Mediapart, L’Obs, Le Point) et deux ONG (Sherpa et ReAct) à la holding luxembourgeoise Socfin. Cette société, propriétaire de plantations en Afrique et en Asie, dont le groupe Bolloré détient un peu plus de 38 % du capital, les accuse de diffamation.
Voici le texte de cette tribune.
« Face aux poursuites bâillons de Bolloré : nous ne nous tairons pas ! »
« Ce jeudi 25 janvier, s’ouvre un procès contre trois journaux (Mediapart, L’Obs, Le Point) et deux ONG (Sherpa et ReAct), attaqués en diffamation par la holding luxembourgeoise Socfin et sa filiale camerounaise Socapalm, fortement liées au groupe Bolloré, Vincent Bolloré [président-directeur général du groupe Bolloré] lui-même siégeant au sein de leur conseil d’administration.
Les plaignants leur reprochent des articles relatant les mobilisations de villageois et d’agriculteurs ouest-africains voisins d’exploitations gérées par ces deux sociétés. Alors qu’hier encore, le tribunal de grande instance de Paris déboutait la société Bolloré dans une énième plainte en diffamation contre le journal Les Inrocks, le procès de demain marque une nouvelle étape dans les poursuites judiciaires lancées par le magnat breton et ses partenaires contre des médias, des organisations non gouvernementales ou des journalistes, qui ont évoqué les coulisses de ses activités économiques et commerciales en Afrique, ses liens avec la holding luxembourgeoise Socfin et les conséquences des acquisitions de terre à grande échelle.
Depuis 2009, plus d’une vingtaine de procédures en diffamation ont ainsi été
lancées par Bolloré ou la Socfin en France et à l’étranger – pour contourner la loi de 1881 sur la liberté de la presse – contre des articles, des reportages audiovisuels, des rapports d’organisations non gouvernementales, et même un livre.
France Inter, France Culture, France Info, France 2, Bastamag, Le Monde, Les Inrocks, Libération, Mediapart, L’Obs, Le Point, Rue89, Greenpeace, React, Sherpa… Une cinquantaine de journalistes, d’avocats, de photographes, de responsables d’ONG et de directeurs de médias ont été visés par Bolloré et ses partenaires.
Au vu de leur ampleur, nous estimons que ces poursuites judiciaires s’apparentent à
des “poursuites bâillons”. Ces procédures lancées par des grandes entreprises multinationales sont en train de devenir la norme. Apple, Areva, Vinci ou Veolia ont récemment attaqué en justice des organisations non gouvernementales ou des lanceurs d’alerte.
En multipliant les procédures judiciaires dans des proportions inédites – quitte à les abandonner en cours de route –, le groupe Bolloré en a fait une mesure de rétorsion quasi automatique dès lors que sont évoquées publiquement ses activités africaines. Ces attaques en justice contre les journalistes viennent s’ajouter à d’autres types d’entraves à la liberté de la presse dont est désormais coutumier le groupe Bolloré.
En 2014, son agence de communication Havas avait par exemple tenté de supprimer plus de 7 millions d’euros de publicité au journal Le Monde, à la suite d’une enquête sur les activités de Vincent Bolloré en Côte d’Ivoire. Sans oublier la déprogrammation ou la censure de plusieurs documentaires que Canal+ (groupe Vivendi) devait diffuser.
Ces poursuites systématiques visent à faire pression, à fragiliser financièrement, à isoler tout journaliste, lanceur d’alerte ou organisation qui mettrait en lumière les activités et pratiques contestables de grands groupes économiques comme le groupe Bolloré. Objectif : les dissuader d’enquêter et les réduire au silence, pour que le “secret des affaires”, quand celles-ci ont des conséquences potentiellement néfastes, demeure bien gardé.
C’est l’intérêt général et la liberté d’expression qui sont ainsi directement attaqués. Les communautés locales, les journalistes, les associations, les avocats, ou les lanceurs d’alerte : tous les maillons de la chaîne des défenseurs de droits sont visés par ces poursuites.
Nous, collectifs, journalistes, médias, organisations non gouvernementales, apportons notre soutien aux journalistes et aux organisations qui comparaîtront les 25 et 26 janvier, et à tous les acteurs poursuivis dans le cadre de ces poursuites bâillons.
Des réformes devront être proposées en France pour imiter d’autres pays comme le
Québec, ou certains Etats des Etats-Unis ou d’Australie, vers un renforcement de la
liberté d’expression et une meilleure protection des victimes de ces poursuites
bâillons. Informer n’est pas un délit ! On ne se taira pas. »
- Médias et organisations signataires :
Abaca Press, ActionAid France, AFASPA 95, Alternatives économiques, Association de la presse judiciaire, Attac France, Bastamag, Bondy Blog, collectif Informer n’est pas un délit, collectif On ne se taira pas, Collectif des associations citoyennes, CRID, France Libertés, GRAIN, Greenpeace France, Les Jours, Mediapart, Prix Albert Londres, Ritimo, ReAct, Reporters sans frontières, Sherpa, Survie, La Télé libre, Union syndicale Solidaires,
- Sociétés des journalistes ou des rédacteurs signataires :
AFP, BFM-TV, Challenges, Les Echos, Europe 1, France 2, France 3, Le Monde, L’Humanité, Libération, L’Obs, Mediapart, M6, Premières Lignes, Radio France, RMC, RTL, Télérama, TF1, TV5Monde, La Vie.
- Journalistes signataires :
Jean-Pierre Canet (journaliste), Benoît Collombat (journaliste, Radio France), Nadia Djabali
(journaliste), Samuel Forey (journaliste, prix Albert Londres 2017, L’Ebdo), Raphaël Garrigos
(journaliste, Les Jours), Simon Gouin (journaliste, Bastamag), Maureen Grisot (journaliste),
Elodie Guéguen (journaliste, Radio France), Pierre Haski (journaliste, Rue 89), Thomas
Horeau (journaliste, France 2), Dan Israel (journaliste, Mediapart), Erik Kervellec (directeur
de la rédaction, France Info), Geoffrey Le Guilcher (Les Inrocks), John-Paul Lepers
(journaliste, La Télé Libre), Julien Lusson (ancien directeur de publication, Bastamag),
Jacques Monin (journaliste, Radio France), Jean-Baptiste Naudet (journaliste, L’Obs),
Nicolas Poincaré (journaliste, Europe 1), Martine Orange (journaliste, Mediapart), Fanny
Pigeaud (journaliste), Matthieu Rénier (journaliste, prix Albert Londres 2017, France 2),
Isabelle Ricq (photographe), Jean-Baptiste Rivoire (journaliste, Canal+), Isabelle Roberts
(journaliste, Les Jours), Agnès Rousseaux (journaliste, Bastamag), Ivan du Roy (journaliste,
Bastamag), David Servenay (journaliste), David Thomson (journaliste, Prix Albert Londres
2017, RFI), Nicolas Vescovacci (journaliste), Tristan Waleckx (journaliste, prix Albert Londres
2017, France 2).