Au troisième jour de son procès, Jawad Bendaoud s’en prend aux avocats des parties civiles
Au troisième jour de son procès, Jawad Bendaoud s’en prend aux avocats des parties civiles
Par Franck Johannès
Dans une ambiance tendue, l’homme qui a hébergé deux des terroristes survivants des attentats du 13 novembre 2015, a chargé verbalement des avocats venus le questionner.
Illustration de l’audience de vendredi 27 janvier au Palais de justice de Paris de Jawad Bendaoud. / BENOIT PEYRUCQ / AFP
L’ambiance s’est singulièrement tendue, vendredi 26 janvier, au troisième jour du procès de Jawad Bendaoud, l’homme qui a hébergé deux des terroristes survivants des tueries du 13 novembre 2015. C’était au tour des parties civiles d’interroger les trois prévenus – les parties civiles, les familles des victimes pour l’essentiel, sont 500, leurs avocats 80, mais ils se sont résignés à ce qu’une vingtaine d’entre eux seulement interviennent. En vain, jusqu’ici. Les avocats s’ingénient à poser des questions interminables, en précisant naturellement que « la question est simple », et s’attirent en retour un torrent de paroles de Jawad Bendaoud, qui répond à côté et répète en boucle qu’il ne savait simplement pas que les deux hommes qu’il devait loger pendant trois jours étaient des terroristes. Personne, pour l’heure, n’est parvenu à prouver le contraire.
Jawad Bendaoud agace et fait rire, même si le procès ne s’y prête guère, mais c’est assurément un personnage – un personnage de stand-up. Un bagout incroyable, un sens certain de la formule, et un débit comparable à celui de la Seine ces jours derniers.
La passe d’armes avec Me Georges Holleaux a été la plus sévère. L’avocat a cru habile de l’amadouer en lui disant qu’il lui semblait être un homme « énergique, pas violent, intelligent, qui semble avoir du cran » : Jawad Bendaoud l’a laissé venir. Puis Me Holleaux l’a longuement interrogé sur ses rapports avec ses enfants, avec qui il n’habite pas vraiment. Il en a deux, Adam, 8 ans, la prunelle de ses yeux, et la fille de sa compagne, qu’il considère comme sa fille.
« On va s’expliquer d’homme à homme »
« Je n’ai aucun problème avec mes enfants, je les emmène au McDo, je leur achète des glaces, s’est lancé le jeune homme, je leur achète des vêtements, il y a pas un jour où je leur achète pas leurs Granola, leurs Pepito… Ma fille elle veut des Curly, elle les a tous les jours. » Il s’est interrompu d’un coup. « Vous êtes un voleur de mobylette ! Vous essayez de dire quoi ? Parce que moi, je vais venir vous voir au cabinet, on va s’expliquer d’homme à homme… »
Me Mehana Mouhou, autre avocat des parties civiles, a jugé utile de tempêter contre « ces menaces », la présidente, Isabelle Prévost-Desprez, qui tient à préserver le fragile équilibre de l’audience, a suspendu une heure les débats, et s’est levée en marmonnant, « maintenant ce sont les avocats qui font n’importe quoi », et elle a convoqué Me Mouhou pour lui expliquer qui dirigeait l’audience.
L’histoire de la mobylette est une obscure allusion aux déclarations d’un avocat à la télé : Jawad Bendaoud est à l’isolement depuis vingt-sept mois, et n’est pas descendu en promenade depuis le 6 novembre 2016, soit quatorze mois. Il passe ses journées et une partie de ses nuits devant BFM-TV ou i-Télé. Avec une haute opinion des journalistes. « Ils sont bizarres, je comprends pourquoi Macron il laisse les journalistes sur le paillasson quand il va visiter une usine. » Il a fini par s’excuser, Me Holleaux a assuré qu’il n’avait jamais fait de mobylette et l’affaire en est restée là. Jawad Bendaoud en a profité pour faire amende honorable auprès de la présidente, à qui il avait dit la veille qu’elle ne l’impressionnait pas. « J’ai pas voulu vous manquer de respect. Tranquille, madame, y a rien entre nous. » « Je confirme, a souri la présidente, il n’y a rien entre nous. » En gage de bonne volonté, elle a accepté de baisser la haute vitre du box des prévenus de 20 cm, pour que les avocats puissent parler à leurs clients à hauteur d’homme.
« Je suis fini ! Qui va m’embaucher ? »
Mais Jawad Bendaoud a montré du doigt les avocats, et dit, « lui là, et lui et lui… c’est fini, je réponds pas. Finish. Droit au silence. » Il en est bien incapable. Et son droit au silence consiste à parler autant, mais assis, en distribuant quelques gracieusetés. A Me Holleaux : « Essayez pas de bidouiller la salle. Il prend les gens pour des cons, c’est quoi ce délire ?! » « Vous cherchez quoi ? On a l’impression que vous êtes perché sur un arbre et qu’on va avoir du mal à vous faire redescendre. On dirait que vous êtes atteint psychologiquement. » Youssef Aït Boulahcen, accusé seulement de non-dénonciation de crime, met ses mains sur les oreilles et a le teint de plus en plus gris.
Sur le fond, le débat n’avance guère. Jawad Bendaoud se répète, « je refais la scène, même à 80 ans avec Alzheimer, j’aurais pas oublié » ; se lamente, avec des métaphores choisies – « y a des gens à ma place, il se seraient coupé les testicules, les auraient mis dans une barquette et ils auraient dit “tiens mes couilles” ». Mais il reste sur ses positions : « Moi j’aurais préféré être dans la place de celui qui dénonce les terroristes que celle de celui qui prend 50 euros et se fait lyncher partout ». Il a d’ailleurs des arguments sérieux : « Pourquoi je vais mentir ? Je suis fini ! Que je sorte ou pas, je suis fini. Qui va m’embaucher ? J’avais le projet de faire un nouveau point de vente de cocaïne. Qui va s’associer avec moi maintenant ? » Suite des débats lundi.