Sûreté nucléaire en France : « Des signes positifs »
Sûreté nucléaire en France : « Des signes positifs »
Par Pierre Le Hir
Le président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, juge le contexte « moins préoccupant » que ces dernières années mais appelle à la « vigilance ».
On avait pris l’habitude, ces dernières années, d’entendre le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, faire état d’un « contexte préoccupant », voire « particulièrement préoccupant ». Il mettait en avant les « enjeux sans précédent » liés à l’éventuelle prolongation de l’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans, ainsi qu’aux travaux post-Fukushima, destinés à mieux armer les centrales françaises contre les catastrophes naturelles.
Le changement de ton n’en est que plus notable. Lundi 29 janvier, à l’occasion de ses vœux à la presse, le patron de l’autorité de contrôle a jugé la situation « moins préoccupante », avec des « signes positifs » montrant « une amélioration ». A ses yeux, plusieurs problèmes majeurs sont, en effet, « derrière nous ».
Excès de carbone
C’est le cas du doute suscité, sur la fiabilité de composants cruciaux, par la découverte d’un excès de carbone dans l’acier de certaines pièces, à commencer par la cuve de l’EPR qu’EDF prévoit de mettre en service fin 2018 ou début 2019 à Flamanville (Manche). Après une longue instruction, l’ASN a finalement donné son feu vert à la construction de cette cuve, sous réserve que son couvercle soit changé au plus tard en 2024. C’est aussi en raison d’une trop forte teneur en carbone dans certains générateurs de vapeur qu’une douzaine de réacteurs avaient été mis à l’arrêt l’hiver dernier. « Cette anomalie est dans son ensemble traitée au plan français », assure aujourd’hui M. Chevet, même si elle est susceptible d’affecter d’autres pays auxquels ont été livrés des composants mal forgés.
C’est aussi le cas des « irrégularités » et des « potentielles falsifications » mises au jour, en 2015 et en 2016, dans le suivi de fabrication de pièces sorties de l’usine de Creusot-Forge (Saône-et-Loire) de Framatome (anciennement Areva). La « revue de fabrication » demandée par l’ASN exige de passer au crible « plus de deux millions de pages » de dossiers techniques. Ce travail a déjà été accompli pour moitié environ et doit être achevé fin 2018. Selon M. Chevet, il « est correctement mené par le site du Creusot, sous la surveillance de Framatome et d’EDF, avec un contrôle final de l’ASN ». Le 25 janvier, celle-ci a du reste autorisé la reprise des fabrications à l’usine de Creusot-Forge.
Restructuration de la filière nucléaire
Autre facteur d’éclaircie, l’achèvement de la restructuration industrielle de la filière nucléaire française. EDF a été recapitalisé à hauteur de quatre milliards d’euros et l’ex-géant Areva, renfloué à hauteur de cinq milliards d’euros, a été scindé en deux entités : Areva NP (qui est devenu une filiale d’EDF et qui a repris son ancien nom de Framatome début janvier), pour la conception des réacteurs et la fourniture de matériel, et New Areva (rebaptisé depuis peu Orano) pour les mines d’uranium et le cycle du combustible. Cette réorganisation est « une étape importante pour les industriels mais aussi pour la sûreté », estime M. Chevet, qui sera toutefois « attentif » à la bonne utilisation de ces nouvelles capacités financières et techniques.
Si le gendarme de l’atome se félicite d’un horizon plus dégagé, il n’en appelle pas moins les industriels, mobilisés par des chantiers lourds, à « garder une vigilance sur la sûreté d’exploitation au quotidien », en s’interdisant tout écart par rapport à la conduite normale de leurs installations. Est notamment visé EDF, qui « rencontre des problèmes réguliers sur la conformité des matériels ».
Des échéances importantes
D’autant que des échéances importantes se rapprochent. D’abord, le démarrage de l’EPR de Flamanville, dont l’ASN juge que « le calendrier est tendu ». Plusieurs autorisations sont, en effet, encore requises, lors de l’arrivée du combustible nucléaire sur le site normand, puis lors de son chargement dans le réacteur. Ce qui nécessitera « quelques mois d’instruction une fois que l’ensemble des dossiers sera parvenu ».
Ensuite, l’avis général de l’autorité de contrôle, attendu en 2020 et assorti de prescriptions en 2021, sur la possibilité ou non de prolonger la durée de vie des réacteurs au-delà de quarante ans, comme le souhaite EDF. L’ASN devrait aussi se prononcer, en 2019, sur le dossier industriel du projet de stockage géologique des déchets à haute activité et à vie longue dans le sous-sol de Bure (Meuse).
En toile de fond se profilent les décisions que doit prendre le gouvernement sur le redimensionnement du parc nucléaire hexagonal, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui doit être arrêtée en fin d’année. Se cantonnant dans son rôle de garant de la sûreté, M. Chevet rappelle simplement que, du fait de l’homogénéité des 58 réacteurs français, la découverte d’une anomalie sur l’un d’entre eux pourrait conduire à en arrêter « une dizaine ».
Il faut donc, poursuit-il, « que le système électrique ait des marges pour pouvoir faire face à une telle éventualité ». Une façon de rappeler que, quels que soient les arbitrages qui seront faits, entre nucléaire et renouvelables, pour composer le futur mix électrique français, les choix ne peuvent plus être indéfiniment repoussés.