« Comment Nouakchott a inventé l’extension de son centre-ville loin de la fièvre des smart cities »
« Comment Nouakchott a inventé l’extension de son centre-ville loin de la fièvre des smart cities »
Par Jérôme Chenal (chroniqueur Le Monde Afrique)
Pour financer le déplacement de son aéroport, l’Etat mauritanien s’est lancé dans une opération foncière qui modifiera le visage de la capitale, retrace notre chroniqueur.
Dans la banlieue de Nouakchott, le nouvel aéroport international Oumtounsy en travaux en 2016. / DR
Chronique. L’histoire récente de Nouakchott fascine car elle ne ressemble à aucune autre. Là, la ville s’invente au quotidien, loin des grandes tendances urbanistiques actuelles. Il faut y voir sans doute le pragmatisme mauritanien qui trouve des solutions innovantes là où d’autres patinent.
Il existe ainsi à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, un lieu étrange et merveilleux. Etrange car il était situé dans un bâtiment de l’ancien aéroport, sorte de hangar désaffecté, sombre, mais où la lumière crue du jour pénètre suffisamment pour voir ce qu’il s’y passe. Merveilleux, car c’est là que se fabrique la ville de demain, ou plutôt l’extension du centre-ville de Nouakchott, devrait-on dire. C’est dans ce lieu que se sont vendus les terrains de l’ancien aéroport de la ville, déplacé officiellement à l’aéroport international Oumtounsy depuis son inauguration, le 27 juin 2016.
Tout commence comme à chaque fois avec les grands événements. Rio a eu ses Jeux olympiques, Milan, son exposition universelle, et Nouakchott, son sommet de la Ligue des Etats arabes (LEA) en juillet 2016. Chaque événement est l’occasion de moderniser ses infrastructures pour accueillir, comme il se doit, des hôtes nombreux ou prestigieux.
Jérôme Chenal
Nouakchott, aussi, devant accueillir force chefs d’Etat, donna un coup d’accélérateur dans son projet de donner à la ville un nouvel aéroport à quelque 25 km au nord pour remplacer celui du centre-ville. Cette opération allait libérer une zone foncière gigantesque en plein cœur de la ville, où le terrain vaut le plus cher. Mais, pour construire un aéroport, il faut de l’argent et, pour cela, les Mauritaniens ont eu recours à une méthode ancestrale : le troc.
Comme le bon vin
La société Najah for Major Works (NMW) du très riche homme d’affaires Ahmed Salek Ould Mohamed Lemine et l’Etat ont donc « fait le deal ». Najah finance le nouvel aéroport et l’exploite, et en contrepartie l’Etat donne une partie de la zone foncière de l’ancien aéroport, l’équivalent des 200-300 hectares nécessaires à la construction du nouvel aéroport dimensionné pour accueillir 2 millions de voyageurs par an.
Le montage était parfait, mais, en cours de construction, l’entreprise a connu des difficultés financières et l’histoire a dérapé. Les délais tournaient, la conférence se rapprochait, l’aéroport n’était pas terminé. C’est la Société nationale industrielle et minière de Mauritanie (SNIM) qui a donc renfloué les caisses à hauteur de 15 milliards d’ouguiyas (35 millions d’euros) contre l’hypothèque d’une partie des anciens terrains de l’aéroport. Mais rapidement, la SNIM a demandé à être remboursée. Najah devait donc trouver de l’argent frais et c’est là que l’Etat est intervenu une seconde fois en mandatant cette même société pour un bâtiment de dix étages (R + 9), la future grande mosquée de la ville et un programme d’aménagement du centre-ville, le tout estimé à 17 milliards d’ouguiyas, correspondant à la dette.
Jérôme Chenal
Mais revenons à notre point de départ, cette salle où se vendaient des terrains comme on vendrait de la quincaillerie. « 110 millions d’ouguiyas pour la plus chère, 1,8 million pour la moins chère, une parcelle de 180 mètres carrés en face de Dar Naïm », confie le maître des lieux. La majorité des 7 700 parcelles font 400 mètres carrés chacune. Le prix au mètre carré se situait entre 40 et 200 euros. La valeur d’une parcelle dépendait de son emplacement et de sa superficie. Les mêmes 400 mètres carrés « sur le goudron » ou au centre du quartier n’auront pas la même valeur. « C’est dans trois ans qu’on saura le vrai prix. » Les parcelles à Nouakchott sont comme le bon vin, les acheteurs vont donc prendre le temps de voir le prix de leur parcelle grimper.
Pour devenir propriétaire, il suffisait de se rendre à la « Najah Bourse ». A l’entrée, le plan d’ensemble du lotissement couvrant la totalité de l’ancien aéroport de Nouakchott. Orange pour les lots commerciaux, bleu pour les résidentiels, rien de plus simple. Puis, sur un bureau, un document relié, la liste des 7 700 parcelles avec l’indication de la zone, de la superficie, de l’emplacement et du prix. Cette dernière mention laissant peu de doute sur la spéculation censée suivre la vente. Et, dans la pénombre de la salle, de grands panneaux de bois, posés en biais contre les murs, prenant la poussière. Ce qu’ils affichaient vaut de l’or.
Une fois la parcelle achetée, le numéro était simplement barré. On ressortait à la lumière, plus riche d’un investissement qui prendra vite de la valeur, et l’acheteur pouvait directement se rendre sur son terrain, le lotissement étant déjà borné.
Pragmatisme mauritanien
C’est ainsi que Nouakchott a programmé l’extension de son centre, loin de la fièvre des smart ou des green cities. Bien sûr, le plan d’urbanisme n’est pas à la hauteur des ambitions. Bien sûr, on a cherché à mettre un maximum de terrains cessibles et un minimum d’espaces publics, le contraire de ce que recommandent les urbanistes. Bien sûr, l’Etat a gardé des terrains, mais peine à les conserver intacts…
Aujourd’hui, presque toutes les parcelles sont vendues, les plus grandes verront sans doute des gratte-ciel surgir, car, même si Nouakchott invente son futur centre-ville loin des conférences internationales, elle succombe comme d’autres à la folie des tours, symbole architectural d’un dynamisme économique.
D’autres pays que la Mauritanie pourraient réfléchir à ce système de « troc foncier contre aéroport ». Il a permis de dégager de l’espace au centre et, dans un marché foncier libre, d’en tirer une plus-value économique qui a ensuite financé infrastructures et équipements.
Mais alors qu’il n’y a pas d’histoire sans ironie de l’histoire, l’un des arguments principaux pour le déplacement de l’aéroport était sa position au centre de l’urbanisation. Aujourd’hui, l’Etat a le projet d’une « aéro-city », une ville de l’aéroport construite juste sous les ailes des avions.
Jérôme Chenal dirige la Communauté d’études en aménagement du territoire (CEAT) de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Il est notamment l’auteur du MOOC « Villes africaines : introduction à la planification urbaine » qui a été suivi par plus de 30 000 apprenants.