Commission d’enquête sur le nucléaire : « Il faut sortir de l’opacité », explique Barbara Pompili
Commission d’enquête sur le nucléaire : « Il faut sortir de l’opacité », explique Barbara Pompili
Propos recueillis par Nabil Wakim, Alexandre Lemarié
Les députés ont voté, mercredi, la création d’une commission d’enquête sur « la sûreté et la sécurité » des installations nucléaires. Présidente de la commission du développement durable, Mme Pompili en explique les enjeux.
Barbara Pompili, dans son bureau de l’Assemblée nationale, le 30 janvier. / LEA CREPI POUR "LE MONDE"
L’Assemblée nationale a voté, mercredi 31 janvier, la création d’une commission d’enquête sur « la sûreté et la sécurité » des installations nucléaires en France. Barbara Pompili, députée (LRM) et présidente de la commission du développement durable, explique au Monde qu’« il serait absurde de ne pas envisager les risques que pourrait causer un attentat terroriste sur une centrale ».
L’ex-secrétaire d’État de François Hollande, à l’initiative de cette commission, souhaite par ailleurs qu’Emmanuel Macron respecte ses engagements de campagne de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité.
Pourquoi mobiliser une commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire ?
Un certain nombre de problèmes se posent concernant la sûreté et la sécurité de nos installations : des intrusions de Greenpeace ont eu lieu dans différentes centrales, des anomalies ont été repérées à l’usine Areva du Creusot. À ces deux éléments médiatiques s’ajoutent des incidents, qui se multiplient sur des centrales : c’est notamment le cas avec l’arrêt des quatre réacteurs de la centrale du Tricastin dans la Drôme, en septembre, ou l’explosion à Flamanville (Manche) en février 2017.
En outre, la question de la prolongation des réacteurs au-delà de quarante ans se pose de manière accrue. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, a d’ailleurs estimé récemment qu’en terme de sûreté, le parc nucléaire n’est pas à un niveau suffisant pour prolonger les réacteurs. Ces éléments se combinent avec la mise en place de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui développera à la fin de l’année les objectifs de la France en matière énergétique pour les cinq prochaines années.
Pour quelle raison se pencher à la fois sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires ?
Vu la menace terroriste, isoler ces deux questions est très artificiel. Un contrôle efficace suppose de veiller à la fois à la prévention des accidents nucléaires, qui concerne la sûreté, et de travailler à la résistance des installations aux attaques extérieures, qui relève de la sécurité. L’exemple des piscines d’entreposage de combustible usagé le prouve : les bâtiments ont été testés d’un point de vue sûreté, pour voir s’ils résisteraient à des séismes ou des inondations.
Mais la sûreté n’englobe pas le fait qu’ils puissent résister à des bombes. Or, quand un tel bâtiment est conçu, tous les critères doivent être pris en compte. L’ASN considère d’ailleurs qu’à terme, il faudrait réunir ces deux critères lors des contrôles.
À l’heure actuelle, il serait absurde de ne pas envisager les risques que pourrait causer un attentat terroriste sur une centrale.
Notre parc nucléaire est-il préparé à une telle attaque ?
A ma connaissance, la sécurité des centrales - qui relève des ministères de l’énergie et la défense - n’a jamais été vérifiée par des parlementaires. Il y a eu un travail sur les intrusions, sur les survols par des aéronefs… Mais nous n’avons toujours pas les informations qui nous prouveraient qu’une centrale serait protégée d’une attaque terroriste avec un avion du type de celle du 11 septembre.
Vous dites vouloir sortir de l’« opacité » sur le nucléaire. Comment cette commission va-t-elle procéder ?
L’intérêt d’une telle commission, c’est que nous avons de réels moyens pour enquêter. Nous procédons à des auditions sous serment des lanceurs d’alerte, des exploitants comme EDF, des organismes de contrôle. Nous allons également inspecter des sites nucléaires.
La commission va-t-elle également enquêter sur les coûts du nucléaire français ?
En s’intéressant à la sûreté, la commission d’enquête pourrait identifier là où les coûts du grand carénage [chantier engagé par EDF après Fukushima pour renforcer la sûreté pour un coût de 46 milliards d’euros] sont très importants. Cela peut permettre d’identifier les endroits où faire des travaux pour prolonger la durée de vie d’une centrale ne servirait pas à grand chose, par exemple. Est ce que cela vaut le coup de se lancer dans des travaux coûteux pour fermer peu de temps après ?
Il ne s’agit pas de mettre en difficulté EDF ou Areva. Ce qui peut mettre en difficulté ces entreprises, c’est de se mettre la tête dans le sable et de ne pas regarder la réalité en face.
Il faut sortir de l’opacité sur le nucléaire. Certes, on peut être fiers de la manière dont ont été gérées les questions de sûreté et de sécurité jusqu’à aujourd’hui. Mais, maintenant, il y a des mesures à prendre.
Nicolas Hulot dit qu’il faudra préciser avant la fin de l’année quels seront les réacteurs qui vont fermer et quand. Ce n’est pas ce que dit l’Elysée…
Je pense qu’il faudra nommer dans la PPE [Programmation pluriannuelle de l’énergie, la feuille de route énergétique de la France pour les cinq prochaines années] les noms des réacteurs à fermer. Ne pas préciser ce qu’on va fermer, ce serait repousser et ne pas prendre de décision. Ce n’est pas l’état d’esprit du président de la République.
Ce qui mine le débat, c’est le fait de ne pas savoir, pour certains territoires, comment ils vont être traités. Notre commission d’enquête peut justement permettre d’identifier, de manière pragmatique, les centrales souffrant de problèmes structurels.
Pendant la campagne, Emmanuel Macron a désigné le nucléaire comme “une énergie d’avenir”. Partagez-vous ce point de vue ?
Je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point. Cela étant, notre engagement commun de mettre en œuvre la loi de transition énergétique est toujours le même. Emmanuel Macron n’a jamais remis en cause l’objectif de descendre en dessous de 50 % de production d’électricité d’origine nucléaire, même si nous sommes revenus sur la date de 2025.
A titre personnel, j’aimerais que cet objectif ne soit qu’un début et qu’on réduise encore plus, à l’avenir, la part d’électricité venant du nucléaire. Mais ce n’est pas le contrat sur lequel nous nous sommes engagés pendant la campagne. Je suis opposée de longue date au nucléaire mais je n’oublie pas que dans la majorité, il y a des pro-nucléaires, des antinucléaires, et même des agnostiques !