Le président français Emmanuel Macron, à gauche, aux côtés de son homologue tunisien Béji Caïd Essebsi, au palais présidentiel à Carthage, le 31 janvier. / Hassene Dridi / AP

« Combat commun. » Emmanuel Macron a insisté avec force sur la formule pour souligner la solidarité profonde qui lie la France et la Tunisie lors du début de sa visite d’Etat à Tunis, mercredi 31 janvier. « Si vous échouez, nous échouerons, le même jour ou le jour d’après », a-t-il précisé lors d’une conférence de presse menée conjointement au palais présidentiel de Carthage (nord de Tunis) avec son homologue tunisien Béji Caïd Essebsi.

Le déplacement du président français s’inscrit dans un contexte sensible en Tunisie alors que le désenchantement social et économique alimente une grogne récurrente dans les classes les plus défavorisées. Début janvier, des rassemblements contre la hausse des prix ont donné lieu à des incidents avec les forces de l’ordre ayant coûté la vie à un manifestant à Tebourba (35 km à l’ouest de Tunis). Environ 900 personnes avaient été arrêtées.

Au palais de Carthage, le locataire de l’Elysée a souligné qu’une « étape fondamentale » se jouait dans le pays, sept après la révolution de 2011 qui a renversé la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali. M. Macron a ainsi tenu à « rendre hommage » au « travail effectué » par M. Essebsi et qui, a-t-il précisé, « est aussi porté par le peuple tunisien ». Ces efforts ont permis d’ériger la Tunisie en « modèle de transition démocratique », a estimé le chef de l’Etat français, à travers notamment une « Constitution [adoptée en 2014] exemplaire ».

« La réussite de la Tunisie et des valeurs qui sont les siennes – démocratiques, de liberté de conscience, d’égalité entre les hommes et les femmes – à ce moment-là de notre histoire de la Méditerranée, c’est aussi note bataille. »

Et il a tenu à « redire » tout « le soutien de la France » dans cette expérience tunisienne.

« La jeunesse tunisienne doit réussir en Tunisie »

A l’occasion de cette visite d’Etat – la seconde après son voyage en Chine du 8 au 10 janvier – Emmanuel Macron était accompagné d’un nombre restreint de membres du gouvernement. Seuls Jean-Yves Le Drian, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’Etat à l’économie et aux finances, ont fait le déplacement. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, et Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’Etat chargé du numérique, tous les deux attendus à Tunis, ont été retenus à Paris par le premier ministre Edouard Philippe, qui organise jeudi un comité interministériel de la transformation publique.

Afin de concrétiser ce « soutien » proclamé à la Tunisie, M. Macron a confirmé que la France allait bien consacrer 1,2 milliard d’euros à différents dispositifs d’aide entre 2016 et 2020, précisant que 500 millions d’euros suivront entre 2020 et 2022. Persuadé que la Tunisie ne pourra s’en sortir en misant uniquement sur sa fonction publique, Emmanuel Macron a annoncé la création d’un fonds de « soutien au développement, à l’entreprise et aux initiatives de la jeunesse » visant à lutter contre le chômage des jeunes diplômés, qui atteint 35 % dans le pays. Ce fonds, que l’intéressé a présenté comme un « plan d’urgence », sera doté de 50 millions d’euros sur trois ans.

« La jeunesse tunisienne doit réussir en Tunisie », a plaidé le locataire de l’Elysée, alors que 12 000 étudiants tunisiens suivent leur formation en France – soit les deux tiers des étudiants tunisiens présents à l’étranger.

« Il y a une jeunesse ici qui est la mieux formée de tout le Maghreb, du Machrek, du Proche et du Moyen-Orient (…), elle a tout pour réussir. »

Afin de l’accompagner, MM. Essebsi et Macron ont annoncé la création prochaine, à Tunis, d’une université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée (UFTAM), qui abritera divers partenariats académiques entre institutions des deux pays. Le financement du projet reste toutefois à être bouclé.

Autre manifestation de son « soutien », la France va accorder un prêt souverain de 100 millions d’euros pour la « gouvernance » des entreprises publiques. Elle va aussi convertir 30 millions d’euros de dettes en projets de développement, une somme s’ajoutant aux 60 millions déjà convertis.

« Une juste proportion dans les dénonciations »

Lors d’un échange avec la presse, M. Macron a trahi une certaine irritation lorsqu’il a été interrogé sur un communiqué diffusé le même jour par l’organisation Human Rights Watch (HRW) dénonçant les « brutalités policières » commises à travers la Tunisie lors de l’agitation sociale de début janvier. Selon l’ONG, la police a « parfois passé à tabac les personnes arrêtées » et leur a « dénié le droit d’être assistées d’un avocat conformément à la loi ». HRW a également dénoncé l’interpellation d’individus qui n’avaient fait que « distribuer des tracts critiquant en termes pacifiques la politique du gouvernement ».

M. Macron a tenu à relativiser ces accusations en soulignant que ces arrestations relevaient de « procédures judiciaires » conduites dans « le cadre d’une justice indépendante ».

« Nous sommes dans un pays où une Constitution existe, où les règles de droit sont respectées. »

« Il faut être exigeant, a-t-il précisé, car la République et la démocratie sont un combat permanent. » Il a appelé à « une juste proportion dans les dénonciations » afin d’éviter de « ravaler des démocrates même imparfaits au même rang que les despotes et les tyrans ».