Les opposants au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) célèbrent l’abandon du projet, le 10 février. / JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Riff de guitares, violoncelle et contrebasse en folie sur un rythme endiablé de percussions et de marimbas (un xylophone africain), les sons de l’Orchestre tout puissant Marcel Duchamp ont, ce samedi 10 février au soir, vite fait tanguer les centaines de personnes massées devant la scène installée sous la magnifique charpente de la grange de Bellevue.

Sous une bruine persistante et pénétrante, et dans la boue générale – il s’agit bien ici d’une zone humide –, le groupe de musique survitaminé, avec la diversité de ses instruments africains, à corde, ou encore électriques, ses trombones… symbolisait bien la multiplicité des composantes de la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique)

Ce samedi, la ZAD (la « zone à défendre ») avait donné rendez-vous à ses soutiens venus de toute la France, et même d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne ou encore de Belgique… pour fêter leur victoire avec l’abandon du projet d’aéroport, annoncé par le gouvernement le 17 janvier.

Triton gigantesque, fanfares, chorales, et maquette géante d’avion en bois brûlée – « le projet part en fumée » – dans la plus pure tradition carnavalesque, tout avait été prévu pour réussir l’événement. Pizzas bios, plats vegan, soupe poireaux-pommes de terre, pains d’épices, cidre, bière ou vin chaud, réchauffaient les participants. Et la nuit promettait d’être longue pour les manifestants, animée par des concerts, fest-noz ou techno, les plus fatigués tentant de retrouver leur véhicule dans l’obscurité.

De très nombreux jeunes

Dès le matin, ils étaient des milliers – de 30 000 à 40 000 personnes selon les organisateurs, 8 500 selon la préfecture – à parcourir les kilomètres reliant Saint-Jean-du-Tertre et le Gourbi, deux lieux-dits, à la ferme de Bellevue, au cœur de la ZAD.

Au-delà de ce classique écart de comptabilité, une chose est certaine, ce rendez-vous militant a drainé une foule considérable, digne des plus grands rassemblements que la ZAD a connus. En témoignaient les centaines de voitures parquées sur des kilomètres de routes et de chemins traversant le bocage, rappelant les plus grandes manifestations de soutien aux occupants de Notre-Dame-des-Landes. Le nombre de cars, venus de toute la France, était même supérieur à celui du 8 octobre 2016, lors d’une manifestation pour laquelle les organisateurs avaient annoncé plus de 40 000 personnes et la police 12 500.

Mais, plus que le nombre, un des faits marquants de cette journée fut sans doute le nombre de manifestants venant pour la première fois ici et la présence massive de jeunes. Cherchant à se réchauffer près d’un brasero, un verre de vin chaud à la main, Melody Perdrizet et Elena Lombart, deux jeunes filles venues de Paimpol, dans les Côtes-d’Armor, témoignent de leur découverte de la ZAD. « J’en entendais parler depuis longtemps et je voulais voir comment cela se passait concrètement, comprendre comment ils avaient pu gagner », explique la première, professeure de piano. « Et voir ce qui va se passer après », ajoute son amie, éducatrice à l’environnement et militante de Bretagne vivante.

Drapeau basque brandi haut, Thierry Michel et Nadège Martin ont fait, eux, le déplacement depuis Ixtassou, près d’Espelette (Pyrénées-Atlantiques). Cet artisan de 46 ans et cette propriétaire d’une chambre d’hôte de 38 ans sont engagés dans la lutte contre un projet de mine d’or – près de 13 000 hectares sur onze communes – dans le collectif Stop mines EH. « C’est la première fois que nous venons ici, mais nous suivons ce combat avec intérêt depuis longtemps. Ici nous comprenons l’importance de pouvoir unir des gens très différents avec un même objectif », raconte Thierry Michel.

« De nouveaux enjeux et combats »

Depuis près de dix ans, et l’intensification de la lutte contre l’aéroport, notamment avec l’occupation de la ZAD en 2009, Notre-Dame-des-Landes est devenu la référence de tous les opposants à de grands projets d’infrastructure jugés inutiles et imposés.

« La fin de cette lutte d’un demi-siècle contre l’aéroport laisse place à de nouveaux enjeux et combats, ici et ailleurs », devait déclarer le mouvement contre l’aéroport (Acipa, Adeca, Copain44, Naturalistes en lutte, habitant.e.s et occupant.e.s de la ZAD, Coordination des organisations opposantes), lors de prises de parole tout au long de la journée.

Et nombreux sont les représentants de ces combats qui ont pu témoigner : le projet de tunnel transalpin Lyon-Turin (présence d’opposants français et italiens), le Center Parcs de Roybon (Isère), la centrale à gaz de Landivisiau (Finistère), la Ferme des 1 000 vaches dans la Somme, le parc d’attraction de Guipry-Messac (Ille-et-Vilaine), la ligne à très haute tension de la Haute-Durance, le centre de loisirs et d’affaires d’Europacity et le pôle scientifique du plateau de Saclay, en région parisienne, les bassines niortaises (Deux-Sèvres)… sans oublier le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure (Meuse). « Pour toutes ces luttes sœurs, nous sommes là, nous serons là ! », leur ont assuré les militants de Notre-Dame-des-Landes.

Quelques élus et responsables politiques avaient aussi fait le déplacement pour participer à la fête, tels José Bové, Yannick Jadot, Noël Mamère… « On ne va pas gâcher son plaisir, mais ne soyons pas dupe, le discours environnemental du gouvernement est celui d’un bonimenteur. On l’a encore vu à l’assemblée nationale avec ses propositions récentes de dérogations sur les réglementations environnementales, expliquait Loïc Prud’homme, le député (La France insoumise) de Gironde.

Contre le « capitalisme vert »

La fête donc pour célébrer une victoire historique dont peu de luttes sociales ou environnementales peuvent s’enorgueillir ces dernières années. Mais au-delà de l’immense satisfaction visible sur les visages, ce rassemblement baptisé « Enracinons l’avenir » se voulait tourné vers le futur des terres agricoles et de la ZAD, menacé par l’arrivée du printemps, échéance fixée par Edouard Philippe, le premier ministre, à laquelle les occupants illégaux devront être partis « d’eux-mêmes ».

Le chef du gouvernement avait aussi exigé le nettoyage de la route départementale 281, entravée par de nombreuses chicanes. Ce fut chose faite par les agriculteurs et une partie des zadistes. Non sans mal, une partie des occupants refusant de libérer la route ainsi que l’exigeait l’Etat. Des divergences sont d’ailleurs apparues lors de certaines prises de parole, tout comme dans l’organisation d’une « contre fête » samedi soir dans un autre lieu de la ZAD, par la fraction la plus hostile à tout dialogue avec le gouvernement.

« Aujourd’hui, le mouvement a dégagé collectivement la D281 pour rendre à ses usager.es/voisin.es la possibilité d’une utilisation partagée. (…) Les divers chantiers nécessaires à la remise en état de la route sont en cours. Ils vont durer encore plusieurs semaines », déclarait d’un commun accord le mouvement contre l’aéroport. Quand une partie des zadistes préférait rappeler l’apport dans cette lutte de ceux qui « portent l’autogestion, l’action directe, des modes de vie et des pratiques radicales ». Evoquant aussi bien les « conflits » que les « complicités » entre les composantes de la ZAD, la dizaine de personnes, masquées, qui ont pris la parole, ont martelé leur volonté de combattre « le système capitaliste, sa croissance, ses polices, ses frontières, ses armées, ses bulldozers… »

Et si la victoire est réelle contre le projet d’aéroport, cela ne suffit pas, disent-elles. « Maintenant que notre ennemi le plus clair et le plus commun a disparu, le capitalisme vert rêverait bien d’une zone éco-bio participative, d’une intégration tranquille mais en règle (…). C’est pour éviter cela que nous resterons en lutte. » Le débat est loin d’être terminé dans la ZAD.