La concession majeure de Theresa May pour obtenir un traité de sécurité et défense avec l’UE
La concession majeure de Theresa May pour obtenir un traité de sécurité et défense avec l’UE
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
La première ministre a déclaré, samedi à Munich, que « le Royaume-Uni respectera la compétence de la Cour de justice européenne » en matière de sécurité.
Theresa May gives a speech during the Munich Security Conference on February 17, 2018 in Munich, southern Germany. / THOMAS KIENZLE / AFP
Ce n’est qu’une minuscule phrase perdue au milieu d’un discours plutôt soporifique, mais elle amorce une nouvelle concession majeure de Theresa May dans la négociation sur le Brexit. Prenant la parole samedi 17 février au matin à la Conférence de Munich sur la sécurité, la première ministre britannique a appelé de ses vœux la signature, en 2019, d’un traité sur la sécurité entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE).
Ce texte devrait « respecter la souveraineté des systèmes juridiques du Royaume-Uni comme de l’UE », a-t-elle déclaré sans surprise. Mais, lorsque Londres coopérera avec Europol, ou le Système d’information Schengen (SIS) ou utilisera le mandat d’arrêt européen, « le Royaume-Uni respectera la compétence de la Cour de justice européenne[CJUE] », a ajouté Mme May.
Or, depuis octobre 2016, la première ministre a fait de la rupture avec la CJUE le symbole du retour à la souveraineté et une très nette « ligne rouge » dans les négociations avec les 27. Ce refus, réitéré à maintes reprises, contredisait sa volonté, elle aussi répétée, de poursuivre le maximum de coopération avec l’UE en matière de sécurité.
La CJUE tranche en effet les contentieux en la matière. Sans reconnaissance de la compétence de la CJUE, pas de participation britannique au mandat arrêt européen dont Mme May, ministre de l’intérieur entre 2010 et 2016, connaît l’efficacité pour accélérer l’extradition des délinquants.
Appel à dépasser les « rigidités institutionnelles »
En une phrase, samedi, Theresa May a semblé abandonner sa rigidité sur ce point. « Nous devons trouver une formule solide et adaptée de résolution indépendante du contentieux », a-t-elle déclaré. À propos de l’échange des données, domaine crucial en matière de traque des criminels et de lutte contre le terrorisme, Mme May a aussi reconnu que Londres continuerait à respecter les règles de l’UE après le Brexit.
Pour masquer ces reculades, la première ministre a mis en avant la puissance des services secrets britanniques et le budget militaire du Royaume-Uni, qui comptent parmi ses principaux atouts dans la négociation sur le Brexit. Mme May les a abattus en adressant une menace à peine voilée à l’Union européenne. « À l’époque où nous vivons, aucun d’entre nous ne peut permettre que notre coopération soit entravée, que la sécurité de nos citoyens soit mise en danger par une concurrence entre partenaires, des rigidités institutionnelles et des idéologies bien ancrées », a-t-elle averti.
En position de faiblesse dans la négociation, Mme May appelle les 27 à dépasser leurs « rigidités institutionnelles » et à « faire ce qui est le plus utile, le plus pragmatique pour assurer notre sécurité collective ». D’où son souhait de négocier un traité sur la sécurité entre Londres et l’UE effectif « à partir de 2019 » (le Brexit est fixé au 29 mars 2019). Européens et britanniques « ne peuvent pas reporter cette discussion » et doivent « urgemment mettre en place un traité pour protéger tous les citoyens européens », a insisté Theresa May.
40 % des dépenses européennes de R&D dans la défense
En quittant l’UE, les Britanniques devraient quitter toutes les institutions de coopération et d’échanges de renseignements comme Europol, le Système d’information Schengen (SIS) et le Centre de renseignements de l’UE, et perdre le bénéfice du mandat d’arrêt européen. Mettant en avant l’affaiblissement réciproque que produirait un tel retrait, Theresa May souhaite maintenir le Royaume-Uni dans ces mécanismes après le Brexit. « Nous voulons continuer cette coopération après avoir quitté l’UE », a-t-elle appuyé.
Une alerte sur cinq diffusée sur le SIS est émise par le Royaume-Uni, a-t-elle fait valoir. Le Royaume-Uni « est le seul membre de l’UE à dépenser 2 % de son PIB à la défense » (chiffre disputé avec la France) et pèse 40 % du total des dépenses européennes en matière de recherche et développement sur la défense, a-t-elle ajouté. D’où le « partenariat intense et privilégié » - une de ses expressions favorites valable en tout domaine - qu’elle souhaite conclure en tant que pays extérieur à l’UE.
Le contenu d’un tel « partenariat » reste flou et la voie pour y parvenir n’est pas dénuée d’obstacles. Le Royaume-Uni a toujours rejeté l’idée d’« Europe de la défense » susceptible de mettre en cause la prééminence de l’OTAN, mais Mme May, soucieuse de préserver l’industrie britannique, souhaite bénéficier du Fonds européen de défense. Quant à la coopération en matière de renseignement et de police, elle reste également à négocier.
Le début de concession de Mme May sur la Cour de justice de l’UE pourrait faire bouger les lignes côté européen. Mais il pourrait aussi déclencher les foudres des ministres europhobes, prompts à rappeler ses fortes paroles à ce sujet. En janvier 2017, dans son discours de Lancaster House présentant ses objectifs pour le Brexit, n’avait-elle pas déclaré : « accepter un rôle pour la Cour de justice de l’UE, signifierait qu’elle conserverait son autorité légale directe dans notre pays. A tout point de vue, cela signifierait : ne pas quitter l’UE du tout ».