A Arras, le lancement officiel des Patriotes avait des airs de réunion d’anciens combattants du FN
A Arras, le lancement officiel des Patriotes avait des airs de réunion d’anciens combattants du FN
Par Lucie Soullier
Même si Florian Philippot se défend de faire de son mouvement le rassemblement des déçus du FN, pour ses militants, la désillusion est le point de ralliement initial.
ARRAS Le 18 fevrier 2018. Congres des Patriotes. // Florian Philippot applaudissant Franck de la Personne / Cyril Bitton / french-politics pour Le Monde / Cyril Bitton
« Alors nous y voilà. » Le jour de gloire est arrivé pour Florian Philippot. A Arras, dimanche 18 février, l’ancien numéro 2 du Front national a officiellement lancé son nouveau parti, Les Patriotes. « Nous pouvons tout rebâtir sur nos propres fondations », a-t-il lancé à la tribune.
Finis les préambules aux discours de Marine Le Pen, cette fois, c’est bien lui qui a eu droit aux confettis. Lui, que les quelque 500 adhérents présents – sur les 6 500 revendiqués – ont confirmé à l’unanimité « président ».
Car si Florian Philippot répète que « démocratie directe » et « direction collégiale » seront au cœur de son mouvement, « il faut bien un chef ». Or le patron, ici, c’est lui. Et le désormais leader de parti n’a boudé ni les selfies, ni les « Florian, président ».
Entre un pâté lorrain et une course d’escargots, le voilà qui arpente tout sourire son « village des territoires », trinquant ici « aux Patriotes », là « à la France » avec l’ex-député FN José Evrard, sa prise de guerre à l’Assemblée nationale.
ARRAS Le 18 fevrier 2018. Congres des Patriotes. // Les Sieges de la salle de conférence / Cyril Bitton / french-politics pour Le Monde / Cyril Bitton
« Les extrêmes sont des impasses »
Stands « terroir », distribution de drapeaux français et Franck De Lapersonne pour animer (et vice-présider)… L’intronisation dominicale de Florian Philippot avait comme un air de salon de l’agriculture, sans la bousculade des grands soirs. Ou de congrès du Front national.
« Ah non ! Ce n’est pas tout à fait la même chose dans le parti que vous citez. » L’ancien vice-président du parti d’extrême droite évite tant qu’il le peut d’en prononcer le nom, désormais. « Il ne faut pas le citer trois fois, sinon ça porte malheur », sourit-il en aparté.
Mais à la tribune, Florian Philippot attaque bruyamment un « FN embourbé, perdu, pathétique qui a renoncé au pouvoir, se rediabolise pour essayer d’exister et se rallie à l’Union européenne » avant de se lancer dans un quasi mea culpa :
« Les extrêmes sont des impasses, on croyait un moment à la mutation d’un parti mais il suffit d’un échec pour que tout déraille, et le retour des vieux démons que l’on croyait éloignés. On pensait pouvoir changer mais on se rend compte qu’on se trompait. »
« Marine Le Pen a montré qu’elle n’avait pas l’envergure »
Toute la journée, les allées du palais des congrès d’Arras se sont transformées en réunion des anciens combattants frontistes. Car si Florian Philippot répète ne pas vouloir faire de son mouvement le rassemblement des déçus du FN, ses premiers militants ne cachent pas que la désillusion est leur point de ralliement initial.
Danielle Grandmontagne-Hoffman la première. Cette retraitée mosellane a passé plus d’une décennie à défendre le Front national. Sur le fond, « c’est vrai que je suis d’accord avec eux ». Seulement, elle n’y croit plus depuis une certaine soirée du 3 mai. Celle du débat de l’entre-deux-tours, où « Marine Le Pen a montré qu’elle n’avait pas l’envergure d’être présidente », selon elle.
Prostrée devant son écran à Forbach, la terre de parachutage de Florian Philippot, « je me suis dit que c’était fichu », se souvient la frontalière. Pire, elle s’est sentie « comme une idiote », elle qui avait « tout fait » pour le FN. Tractage, dons, universités d’été…
La militante engagée avait même « fait la pub » autour d’elle, depuis toutes ces années. « Ridiculisée », elle a quitté le paquebot pour monter dans l’embarcation de secours. « En fait, je suis venue chercher ici le Front national là où Florian l’avait amené. Avant que Marine l’ait tout cassé. »
« On ne sait pas si Les Patriotes vont marcher, mais ils savent que Marine Le Pen est grillée »
ARRAS Le 18 fevrier 2018. Congres des Patriotes. // Militants / Cyril Bitton / french-politics pour Le Monde / Cyril Bitton
Même constat sous l’affiche « Languedoc », où Gilbert Biasoli raconte, foulard rouge noué autour du cou, la « dérive » qui l’a mené ici. Le conseiller municipal de Carcassonne, pin’s Patriotes bien planté côté cœur, déroule : débat, défaite présidentielle et législative, discours « raciste »… C’est bien du FN qu’il s’agit, là encore. Gilbert Biasoli avait lui aussi adhéré au parti d’extrême droite, il y a 8 ans de cela, avant de le quitter pour les Patriotes.
« Heureusement que Florian est parti, finalement », se rassure Andrea Didelot devant les bretzels de son stand alsacien. L’élu de 25 ans, qui a rejoint le groupe mené par Florian Philippot au conseil régional Grand Est, refait l’histoire.
« S’il était resté au FN, on aurait été obligés de rester dans la mélasse nous aussi. » Et de décrire la « sinistrose » dans laquelle a sombré le FN depuis la défaite présidentielle, et à laquelle il pense avoir échappé en le quittant. « Nous, on ne sait pas si Les Patriotes vont marcher, mais eux, ils savent que Marine Le Pen est grillée. »
Michel Delannoy acquiesce. Lui est venu d’Aniche, à une trentaine de kilomètres d’Arras, pour assister à « la naissance du bébé ». Ce qui le motive à adhérer à un autre parti, lui qui a quitté le FN « écœuré » ? « Le chômage de masse et l’immigration incontrôlée. » Avec, assène-t-il, un rapport de cause à effet. « Grand remplacement économique », « génocide économique et culturel ». A 51 ans, lui qui travaille dans le transport routier en a gros contre l’Europe. Et il a trouvé dans le leader des Patriotes un écho à ses reproches.
Sortir de l’Union européenne
« La seule solution, c’est de sortir de l’Union européenne », répète Florian Philippot à la tribune, appuyé par un soutien vidéo de Nigel Farage, « l’homme du Brexit », ancien leader du UKIP britannique europhobe, et un discours de David Coburn, du UKIP écossais.
Les déçus du FN deviendront-ils des « philippotistes » convaincus ? « On verra », rétorque Danielle. La quinquagénaire du coin n’en dira pas plus sur son identité. Elle est juste venue « essayer » Philippot. Pendant longtemps, Danielle a mis « une enveloppe avec rien dedans » aux différents scrutins. Avant de tenter le FN, sans succès.
« Quand ils ont décidé de ne plus sortir de l’Europe », Danielle est partie. Elle n’a « rien contre les étrangers, prévient-elle, mais y’en a beaucoup trop quand même. » L’immigration, c’est un « grave problème » auquel elle ne voit qu’une solution : « Fermer les frontières. Sortir de l’Europe. »
Des militants des Patriotes à Arras, le 18 février. / Cyril Bitton / french-politics pour Le Monde / Cyril Bitton
Dans l’auditorium, Florian Philippot distribue les sujets programmatiques de son nouveau mouvement. Éducation, écologie, droits des animaux… Mais c’est la fin de son discours qui réveille ses troupes. « Peut-on aborder sans hystérie la question de l’immigration massive ? », scande l’ex-bras droit de Marine Le Pen. « Assimilation républicaine », « déchéance de nationalité » pour les « Français partis combattre avec les terroristes islamistes »… « Sans hystérie », à l’appel de ses fondamentaux, la salle agite ses drapeaux.