« En dix ans, la diplomatie chinoise a visité la quasi-totalité des pays africains »
« En dix ans, la diplomatie chinoise a visité la quasi-totalité des pays africains »
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
Chaque début d’année, le ministre des affaires étrangères effectue une tournée sur le continent pour défendre le pragmatisme de Pékin, analyse notre chroniqueur.
Chronique. En Chine, rien ne remplace le guanxi (le réseau) : des liens interpersonnels qui régissent aussi bien les rapports amicaux que les relations dans les affaires et la politique. La confiance vient du guanxi et, pour cela, il faut se rencontrer.
Ainsi fonctionne, aussi, la diplomatie chinoise. Avec 79 visites dans 43 pays d’Afrique en dix ans, le pays est particulièrement actif sur le continent. « La Chine attache beaucoup d’importance aux relations personnelles et à ces rencontres en face à face. Elle est le seul pays à avoir instauré ce principe de visites aussi régulières et nombreuses », explique Hannah Ryder, ancienne diplomate de l’ONU et directrice à Pékin du cabinet de consultant Development Reimagined. En reprenant le fil de ces tournées, elle propose une carte originale et surprenante de la Chine-Afrique basée sur ce guanxi.
Dans le top 5 des pays les plus visités, on trouve, sans surprise, l’Afrique du Sud, premier partenaire de la Chine en Afrique ; mais aussi des pays de moindre poids, comme la Tanzanie ou la Zambie, l’objectif étant d’avoir des contacts personnels avec un maximum de chefs d’Etat. La quasi-totalité du continent a ainsi été visitée, à l’exception du Swaziland et du Burkina Faso, qui préfèrent entretenir des relations diplomatiques avec Taïwan, ou de la Libye, de la Somalie et du Soudan du Sud, pour des raisons de sécurité.
« Toutes les sphères linguistiques »
Cette année, fidèle à la tradition, le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, s’est rendu dans quatre pays : le Rwanda, l’Angola, le Gabon et Sao Tomé-et-Principe. « C’est un choix pragmatique, analyse Hannah Ryder. Sao Tomé a renoué en décembre 2016 ses relations diplomatiques avec Pékin, c’est donc une visite politique. Pour le Gabon, c’est la volonté de mieux se connaître, car le pays est un nouveau venu dans la sphère d’influence de la Chine. Pour l’Angola, c’est plus une question économique, avec des projets d’ouverture de zones spéciales. Il est intéressant de voir que toutes les sphères linguistiques sont couvertes. »
« Les ministres chinois des affaires étrangères ont toujours choisi l’Afrique en tant que premier déplacement pour la nouvelle année, et cela depuis vingt-huit ans, explique Lu Kang, porte-parole du ministère. La poursuite de cette tradition montre que la Chine porte une grande attention aux relations avec l’Afrique. Il s’agit de promouvoir la confiance mutuelle, de renforcer une coopération bénéfique à tous et de préparer le Forum sur la coopération sino-africaine [Focac], qui sera organisé cette année par la Chine. »
Depuis 2000, le Focac donne le pouls, tous les trois ans, de ces relations. Il aura lieu en septembre à Pékin, et, comme pour le précédent forum, il faudra s’attendre à de gros chèques : 60 milliards de dollars (environ 55 milliards d’euros) avaient été annoncés en décembre 2015 à Johannesburg, ce sera sans doute davantage cette année.
« Le Focac gère les aspects financiers, qui ne sont pas la raison d’être de ces visites, explique Hannah Ryder. On voit ainsi que le Soudan du Sud n’a jamais été visité alors qu’il s’agit d’un des pays où la Chine investit le plus. Au contraire, le Tchad, où la Chine est peu présente, est régulièrement visité par ses représentants, tout comme les pays les plus pauvres du continent. Avec la Chine, il y a toujours un équilibre dans les relations diplomatiques, très peu de pays sont écartés. Ce n’est pas le cas des diplomaties française, britannique et américaine, qui ont clairement des priorités sur le continent. La Chine, elle, veut parler à tout le monde. »
Convergence industrielle
Mais parler de quoi ? Ces dernières années, de nouveaux sujets ont fait leur apparition. Il s’agit évidemment des nouvelles routes de la soie, pour lesquelles Pékin doit clarifier sa stratégie en Afrique, de la lutte contre le changement climatique, sujet surlequel la Chine tente de faire entendre sa voix, surtout depuis le retrait des Etats-Unis, et de la convergence industrielle.
« La Chine est en train de perdre ses atouts en matière de main-d’œuvre, rappelle Wang Yulong, président du conseil d’administration du Fonds de coopération sino-africaine. D’ici à 2050, l’Afrique procurera 50 % de la main-d’œuvre nouvellement entrée dans le marché mondial. Nous devons donc davantage coopérer en matière de capacité de production. »
Premier partenaire commercial du continent, la Chine a vu ses investissements en Afrique franchir le cap des 100 milliards de dollars fin 2016, soit une croissance de plus de 100 % en une dizaine d’années.
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.