En février, le festival e-Luminate rivalise de technologies pour mettre la ville de Cambridge en lumière. / Pierre-Yves Anglès via Campus

Chronique de Cambridge. Diplômé de Sciences Po et étudiant en master de littérature à l’Ecole normale supérieure et en Sorbonne, Pierre-Yves Anglès raconte son semestre à l’université de Cambridge, en Angleterre.

Voilà quelques semaines que j’ai fait mon entrée au Homerton College. Comme celles d’Oxford ou de Durham, l’université de Cambridge est collégiale. Les enseignements – les facultés et les départements – dépendent de l’université, mais le logement et la vie sociale des étudiants s’organise autour de ses trente et un collèges. Le mien fête ses 250 ans, ce qui est assez jeune si on considère que l’université a été fondée au début du XIIIe siècle : un groupe d’universitaires en conflit avec la ville d’Oxford avait alors décidé de quitter son université et d’en créer une autre, en rase campagne. C’est ce qui explique les innombrables ressemblances entre Cambridge et Oxford, souvent désignées par l’acronyme Oxbridge.

Cambridge conserve ses atours champêtres et je me suis surpris à buter sur une oie en vélo dans un champ boueux à la nuit tombée. Le vélo est le mode de déplacement par excellence dans la petite ville. Outre le centre médiéval qui rassemble de nombreux collèges, où s’enchevêtrent des dizaines de ruelles et de recoins étonnants, la ville est encadrée par quelques grandes prairies et des élevages de moutons. Le dépaysement est assuré et de nombreuses coutumes y contribuent.

Dîners à la bougie

En hiver, la vie sociale s’organise beaucoup autour des « dîners formels » organisés dans les grandes salles à manger des collèges. Tous les événements sont bons pour répéter ce cérémonial : ouverture du dîner en latin par une chorale, éclairage à la bougie, service à table et port de la gown obligatoire dans les collèges les moins libéraux. La gown, c’est la cape noire des étudiants ou professeurs, dont les détails renseignent sur le niveau d’étude.

Les dîners formels m’ont appris que, malgré son imagination stupéfiante, J.K. Rowling s’est limitée à un assemblage savant des traditions d’Oxbridge pour dépeindre Poudlard, l’école d’Harry Potter, créant au passage un puissant outil de promotion culturelle. Ces dîners m’ont aussi appris qu’on ne lâche son verre de vin ou son dessert sous aucun prétexte. Car si quelqu’un jette une pièce d’un penny dans votre verre, il vous faudra le boire cul sec, et s’il s’agit de cinq pence, il vous faudra manger votre dessert sans les mains. Ces traditions peuvent sembler désuètes, mais comme une ancienne de mes professeures l’écrivait très justement au sujet d’Oxford : « Rien de mieux (…) que les rituels (et les agapes, et les bons vins) pour intégrer des étudiants et des chercheurs venus du monde entier, fabriquer une expérience commune. »

La Thirkill room, une salle donnant sur la rivière Cam, où se réunit l’un de mes séminaires dans le collège de Clare. / Pierre-Yves Anglès via Campus

Extrême gauche et drapeaux arc-en-ciel

Malgré ce folklore et des salles de cours qui ressemblent à des salons de campagne, Cambridge ne sent pas la vieille église anglicane. Cette ville à deux pas de Londres vit avec son époque et certains collèges sont connus comme très progressistes. Ce n’est pas intuitif, mais le King’s College, sûrement le plus emblématique, est réputé d’extrême gauche. Le 1er février, comme presque tous les autres collèges de Cambridge, il s’est paré de drapeaux arc-en-ciel pour le lancement du mois de l’histoire LGBT au Royaume-Uni. Ce symbole avait quelque chose d’émouvant lorsqu’on sait que le mathématicien homosexuel Alan Turing, l’un des pères de l’informatique ayant aussi brisé le code de cryptage des messages nazis pendant la seconde guerre mondiale, étudiait dans ce collège et avait été contraint à la castration chimique pour « perversion sexuelle ».

A noter que le Trinity College, l’un des plus prestigieux, a, lui, brillé par son refus d’arborer ce drapeau. Bien qu’ils rassemblent des professeurs et des étudiants du monde entier et de toutes les disciplines, chaque collège a ses matières de prédilection et une identité politique plus ou moins caricaturée.

Quand, le 7 février, le Royaume-Uni a fêté le centenaire du droit de vote des femmes, une projection du film Les Suffragettes de Sarah Gavron était organisée par mon collège. Ce type d’événement n’est pas un luxe quand on considère qu’à Cambridge le Magdalene College n’accepte les femmes que depuis 1988. Encore aujourd’hui, ce collège est réputé comme assez conservateur.

Tournant numérique

Au-delà des sciences sociales, Cambridge est également actif sur le front numérique. En février, le festival e-Luminate a rivalisé de technologies pour mettre la ville en lumière. Cambridge appartient aussi à la « Silicon Fen ». Cette Silicon Valley britannique rassemble des entreprises et des centres de recherche en informatique et en biotechnologies. On désigne souvent la zone Cambridge-Londres-Oxford comme un « triangle d’or » pour l’excellence universitaire britannique, mais également pour l’innovation.

Autre signe que cette université est dans son époque, voire en avance sur son temps : elle a créé un Centre pour l’étude des risques existentiels en 2012 et un second sur le futur de l’intelligence artificielle trois ans plus tard. Tous deux visent à évaluer l’influence des technologies sur nos modes de vie. Cette vieille institution remet aussi en question ses modes d’évaluation : partant du constat que les étudiants peinent davantage et sont souvent illisibles dans leurs copies d’examen manuscrites, elle a donné la possibilité de les remplacer par des tests sur ordinateur ou iPad. Certains s’inquiètent de la disparition de l’écrit pour nos capacités de mémorisation, mais la question a le mérite d’être posée.

Pierre-Yves Anglès a précédemment tenu une chronique sur son semestre à l’université de Columbia, à New York :