Ce que l’on sait de l’homme soupçonné d’une « quarantaine » de viols dans le Nord
Ce que l’on sait de l’homme soupçonné d’une « quarantaine » de viols dans le Nord
Par Laurie Moniez (Lille, correspondance)
Dino Scala, un père de famille de 56 ans au casier judiciaire vierge, a été arrêté après vingt-deux ans d’enquête. Il a reconnu les faits.
Les images des caméras permettent de cibler un véhicule, une Peugeot 206, et une immatriculation incomplète. La police épluche alors les fichiers des cartes grises et remonte jusqu’au suspect. / PHILIPPE HUGUEN / AFP
« La police judiciaire ne lâche jamais rien. » Après l’interpellation, lundi 26 février, d’un homme suspecté d’avoir commis une « quarantaine » de viols, qu’il a lui-même reconnus, mercredi, Romuald Muller, le directeur de la police judiciaire (PJ) de Lille, a demandé à son équipe d’appeler, une par une, ses supposées victimes pour leur annoncer cette arrestation inespérée.
Certains enquêteurs, chefs de groupe partis à la retraite depuis, n’y croyaient plus. Cela faisait vingt-deux ans que la police lilloise tentait de débusquer cet homme, dont l’ADN, recueilli sur plusieurs scènes de viol, n’avait jamais permis d’arrestation. Et pour cause : il était inconnu au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles.
Lors de sa garde à vue, Dino Scala, âgé de 56 ans, a reconnu être l’auteur d’une « quarantaine » de viols et agressions sexuelles dans le secteur de la Sambre, une rivière franco-belge. Il aura fallu quelques images de vidéosurveillance et une nouvelle victime pour mettre fin à une information judiciaire ouverte par la PJ de Lille en 1996.
Le 5 février, au petit matin, une jeune Belge, mineure, est victime d’un attentat à la pudeur dans la petite commune d’Erquelinnes, à deux pas de la frontière, à quinze kilomètres de Maubeuge. La PJ de Lille décide alors de se rendre sur place, intriguée par le mode opératoire de l’agresseur.
Mains gantées et visage masqué
L’homme qu’ils recherchent a en effet pour habitude d’agresser ses victimes de dos, très tôt le matin, les mains gantées et le visage masqué en partie ou totalement. Romuald Muller explique :
« Pendant plus de vingt ans, la PJ a rédigé plus de mille procès-verbaux, réalisé des centaines de vérifications sur de nombreux véhicules. Nous avions son ADN et, malgré des recoupements entre plusieurs affaires, on récupérait toujours les mêmes morceaux du puzzle. »
La pièce manquante a été apportée par la police belge et le témoignage de cette jeune fille, agressée sur le chemin de l’école. Les images des caméras permettent de cibler un véhicule, une Peugeot 206, et une immatriculation incomplète. La police épluche alors, à l’ancienne, les fichiers des cartes grises et remonte jusqu’au suspect. Il est interpellé lundi matin. Son ADN correspond à celui qui a été retrouvé sur plusieurs victimes.
Lors de son audition, l’homme reconnaît les faits et, comme l’a relaté le procureur de Valenciennes, Jean-Philippe Vicentini, lors d’une conférence de presse, fait « des révélations spontanées ». En plus des dix-neuf cas de viols ou agressions sexuelles recensés par la police française entre 1996 et 2012, il faut ajouter les victimes belges, au moins sept entre 2004 et 2008. « Il a expliqué agir sous le coup de pulsions qu’il ne contrôlait pas et il évalue le nombre de victimes à une quarantaine », souligne le procureur.
« Des périodes d’arrêt pendant plusieurs années »
Selon des éléments de l’enquête, les premières victimes, des femmes aux profils variés, certaines mineures, d’autres parfois âgées de près de 50 ans, auraient été agressées dès 1988. « Il y a peut-être autant de travail en amont de cette arrestation qu’en aval, explique le patron de la police judiciaire de Lille. Il y a peut-être eu des débuts d’agressions qui ne nous ont pas été signalés. Et puis il avait un rythme particulier, avec parfois des périodes d’arrêt pendant plusieurs années. »
Depuis 2012, la police s’interrogeait sur la possibilité que ce violeur soit mort, car il n’y avait pas eu de nouvelles agressions recensées utilisant ce mode opératoire, ou du moins, pas de rapprochements réalisés par la justice autour de nouveaux cas.
Du côté belge, les affaires de viols ou d’attentats à la pudeur non résolues désespéraient aussi la police locale et le parquet de Charleroi, même si, dès 2006, des traces ADN avaient permis d’établir un lien avec des faits commis dans le nord de la France.
En Belgique, l’agresseur était surnommé le « violeur à la cordelette », le « violeur au bonnet » ou le « violeur du matin », car il agissait toujours dans l’obscurité matinale. Il emmenait ses proies à l’écart, dans un lieu isolé à l’abri des regards, parfois sous la menace d’un couteau. Une cordelette lui permettait de ligoter les poignets de ses victimes.
Marié, père de trois enfants et grand-père
Comment cet individu a-t-il pu passer si longtemps entre les mailles du filet ? Au-delà de son casier judiciaire vierge, ce jeune grand-père, marié et père de trois enfants est un « monsieur tout-le-monde », comme l’a décrit le procureur de Valenciennes.
Très impliqué dans la vie de sa commune, Pont-sur-Sambre, notamment comme entraîneur et président du club de football de la ville de 2011 à 2015, cet ouvrier technique chez Jeumont Electric « était très attachant, très serviable avec la population, connu de tous, courageux par son travail », explique Michel Detrait, maire de cette petite commune de 2 500 habitants.
Des habitants submergés par le déferlement médiatique, sous le choc. D’autant qu’à l’image du maire de Pont-sur-Sambre, jamais ils n’avaient entendu parler de cette histoire. « La dernière saisine remonte à 2012. Il y a eu des appels à témoins, notamment en 2011, et des portraits-robots, mais pas de suivi médiatique exceptionnel », estime Romuald Muller, qui explique que sept à huit policiers travaillaient constamment sur cette affaire.
Dans la presse locale, il n’y a presque pas de trace d’une enquête sur un violeur multirécidiviste. La police a-t-elle choisi la discrétion pour éviter la psychose ? « Il y a eu suffisamment de relais médiatiques pour permettre de sensibiliser la population sans risquer de gêner l’enquête, répond le directeur de la PJ. On a été au fond des choses. Bien sûr, on a des regrets pour les victimes, mais on n’a jamais eu un élément d’enquête qui nous a permis de l’identifier plus tôt. »