Taxes sur les importations d’acier aux Etats-Unis : « Le risque d’un conflit commercial n’est pas nul »
Taxes sur les importations d’acier aux Etats-Unis : « Le risque d’un conflit commercial n’est pas nul »
Propos recueillis par Jérémie Lamothe
Le professeur d’économie Lionel Fontagné revient sur les raisons qui ont poussé le président américain à annoncer des mesures protectionnistes sur l’acier et l’aluminium.
Le président américain Donald Trump, le 1er mars, à la Maison Blanche. / MANDEL NGAN / AFP
Donald Trump va-t-il provoquer un conflit commercial mondial ? Les craintes sont réapparues après la décision du président des Etats-Unis, jeudi 1er mars, de taxer les importations d’acier et d’aluminium à hauteur, respectivement, de 25 % et 10 %, à partir de la semaine prochaine.
M. Trump a justifié cette décision par la défense d’une industrie sidérurgique américaine « décimée par des décennies de commerce inéquitable ». En réaction, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore la Russie ont exprimé leur inquiétude. Et pour le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, « cette décision ne peut qu’aggraver les choses. Nous ne resterons pas les bras croisés pendant que notre industrie est frappée par des mesures injustes ».
Pour Lionel Fontagné, professeur d’économie à la Paris School of Economics, à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), un conflit commercial est possible après cette décision de Donald Trump, qui poursuit sa politique protectionniste.
Pour quelles raisons Donald Trump a-t-il pris cette décision ?
Dans un double rapport remis le 16 février par le secrétaire d’Etat au commerce américain, faisant suite à une demande de Donald Trump, il est indiqué que les importations d’acier et d’aluminium menacent la sécurité nationale. Wilbur Ross proposait différentes options, dont l’introduction de droits de douane pour limiter ces importations. Pour leur mise en place, il s’appuie sur la section 232 de la loi sur le commerce de 1962, qui donne toute latitude au président américain pour préserver la sécurité nationale.
Concernant l’acier en particulier, le rapport s’appuie sur la forte augmentation des importations aux Etats-Unis : de 26 milliards de tonnes en 2011 à 36 milliards en 2017. Sur cette durée, les importations venant de Russie ont augmenté de près de 150 %, celles du Brésil de plus de 60 %. En revanche, les exportations chinoises d’acier vers les Etats-Unis ont diminué sur cette période, du fait notamment de la politique antidumping menée par Barack Obama. Mais ce rapport a été préparé sans consulter les parties prenantes aux Etats-Unis, les entreprises, les syndicats… Et les arguments qui sont donnés sont assez peu convaincants.
Pourquoi, selon vous ?
Il y est dit que les Etats-Unis sont le plus grand marché au monde, mais ce n’est pas une raison pour le protéger. Il est également précisé que les Etats-Unis subissent un déséquilibre commercial, que dix hauts-fourneaux ont fermé depuis 2000 dans le pays, que la Chine produit douze fois plus d’acier que les Etats-Unis. Aucun de ces arguments ne justifie d’imposer des droits de douane sur l’acier et l’aluminium.
Est-ce que cette section 232 de la loi sur le commerce de 1962 avait déjà été utilisée aux Etats-Unis ?
C’est assez inédit. La dernière fois qu’elle a été utilisée, c’était sous Ronald Reagan en 1986, pour les machines-outils. Et l’acier n’avait jamais été protégé en utilisant la 232. La dernière protection d’importance de l’acier, c’était George W. Bush en 2002 avec la section 201 de la loi sur le commerce de 1974 [disposition qui permet d’augmenter les droits de douane pour protéger l’industrie américaine, mais seulement de manière temporaire], entre mars 2002 et décembre 2003. En réponse, l’Union européenne avait menacé d’augmenter les taxes d’importations sur les oranges de Floride. Et le bilan avait été lourd pour les Etats-Unis, qui avaient perdu 200 000 emplois industriels du fait de cette protection de l’acier, notamment à cause de l’augmentation des coûts de production de l’automobile.
A nouveau, la décision de Trump va certes protéger la production américaine d’acier et d’aluminium, mais va aussi créer des coûts supplémentaires dans l’automobile, l’infrastructure ou la défense – paradoxalement des secteurs qu’il souhaite développer. D’ailleurs, l’indice Dow Jones a perdu 2 % à l’annonce de la mesure. Mais politiquement, c’est un signal envoyé envers les électeurs de Trump, qui ne manquera pas de tweeter « Je protège l’industrie américaine ».
Quels pays vont être le plus touchés par cette décision ?
Les importations totales d’acier aux Etats-Unis représentent près de 30 milliards de dollars. Les premiers vendeurs sont le Canada avec 5 milliards de dollars ; suivent la Corée du Sud, le Brésil et le Mexique avec un peu plus de 2 milliards chacun. La France n’exporte que pour 400 millions de dollars d’acier aux Etats-Unis. Mais cela peut avoir des conséquences désastreuses pour l’Europe si les Etats-Unis réduisent leurs importations d’un tiers, comme ils le souhaitent. Ces 10 milliards de dollars d’acier vont devoir être absorbés par d’autres marchés.
Non seulement les pays européens vont exporter moins d’acier, mais ils devront en importer plus. Le problème est que la section 232 est difficilement attaquable à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Si l’OMC condamne les Etats-Unis, ils peuvent très bien claquer la porte. La solution sera plutôt de mettre en place des mesures de rétorsion sur un petit nombre de produits bien localisés géographiquement – comme ce fut le cas pour les oranges de Floride en 2002 – et qui affectent Trump politiquement.
Cette décision peut-elle déclencher une « guerre commerciale » comme certaines réactions le font craindre ?
Le mot de guerre est inadapté. Mais un conflit commercial, oui, c’est possible. Ce risque avait été contenu par l’OMC depuis la crise financière de 2008. Mais les conséquences de l’utilisation du mécanisme annoncé par Trump sont méconnues. Le risque que cela dégénère n’est donc pas nul.
Il peut également y avoir des conséquences dans les discussions sur l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) car le Mexique et le Canada sont deux des exportateurs les plus importants d’acier aux Etats-Unis. Il va falloir beaucoup d’habileté aux négociateurs commerciaux pour sortir de cette situation.
Mais personne n’a intérêt à ce que la situation dégénère, d’autant que le commerce international a progressé de 4 % à 5 % l’an dernier. Même la Chine, dans ses premières déclarations, est très prudente.
Depuis qu’il est au pouvoir, Donald Trump mène-t-il une politique protectionniste ?
Oui, trois fois oui. Trump fait ce qu’il avait dit qu’il ferait. Le protectionnisme est au menu. En matière fiscale et de rapatriement des profits, il fait du protectionnisme. En menaçant systématiquement les firmes qui souhaitent délocaliser, c’est une forme de protectionnisme.
Son attitude sur la politique migratoire, c’est aussi du protectionnisme. Il joue non coopératif et les conséquences pourraient être désastreuses pour l’économie américaine et mondiale.