« Le jour où Ahmed a reçu un maillot du Real Madrid »
« Le jour où Ahmed a reçu un maillot du Real Madrid »
Par Pablo Aiquel
Les Soudan Célestins Music et moi (5). Pablo Aiquel, journaliste à Vichy, raconte la passion pour le football d’un des réfugiés soudanais dont « Le Monde » suit l’intégration en France.
Chronique. Ahmed Khamis, 28 ans, connaît les championnats de football sur le bout des doigts. Le chanteur des Soudan Célestins Music, groupe de réfugiés soudanais dont Le Monde suit l’intégration en France dans le cadre du programme Les Nouveaux Arrivants, n’a donc pas raté une miette du match qui opposait, mardi 6 mars, le Paris-Saint-Germain (PSG) et le Real Madrid en Ligue des champions. Ahmed, qui arbore fièrement le maillot madrilène, a pu fêter avec ses amis la victoire de son club de cœur (2-1), concédant toutefois : « Ç’aurait été mieux de gagner avec Neymar en face. » Blessé, le joueur star du PSG ne participait pas à la rencontre.
Pour Ahmed, le maillot original du Real Madrid est presque un talisman, il le met à chaque occasion importante. Bien sûr, il n’avait pas les moyens de se payer une telle parure, vendue entre 80 et 100 euros en magasin. Mais en octobre 2017, à l’occasion du temps fort « Migrations » organisé par le théâtre des Ilets, à Montluçon, nous avions demandé à plusieurs grands clubs d’offrir des maillots pour des matchs de football très symboliques mélangeant hommes et femmes, migrants et locaux. Le Real Madrid avait répondu très rapidement, suivi par l’équipe de France et le PSG. Et c’est l’ancienne gloire madrilène Emilio Butragueno, aujourd’hui directeur de la communication du club, qui nous avait appelés pour préciser le partenariat et s’assurer de l’envoi des maillots à Montluçon.
Baguette magique
Cela fait des années qu’Ahmed suit les exploits du club espagnol. Il ne se souvient même plus depuis quand, sans doute avant l’âge de 10 ans. Cristiano Ronaldo, Zidane, Figo… Il est intarissable sur « le plus grand club du monde ». Natif de Nyala, dans le sud-ouest du Soudan, Ahmed n’a mis les pieds à Khartoum, la capitale, qu’à 20 ans. Et il a dû attendre décembre 2017 pour s’asseoir pour la première fois dans les tribunes d’un grand stade de football. C’était à Lyon, lors d’un match opposant l’Olympique lyonnais à l’Olympique de Marseille et pour lequel on m’avait proposé deux places. J’avais demandé à Ahmed s’il voulait y aller. « Bien sûr ! », avait-il dégainé dans la seconde.
Au lendemain d’un concert à Paris, en septembre 2017, les membres du groupe Soudan Célestins Music regardent des maillots du Paris-Saint-Germain dans une boutique des Champs-Elysées. / SANDRA MEHL POUR LE MONDE
Certes, le fameux « Olympico » ne vaut pas un Real-Barça, mais, pour l’occasion, Ahmed avait tout de même enfilé son maillot madrilène sous une parka de ski car il faisait à peine plus de 0 °C. Comme si c’était une obligation, une nécessité de mettre un uniforme, de s’identifier pour communier avec les autres supporters. Tout l’impressionnait dans ce stade. La quantité de voitures aux abords de l’arène, le tramway plein la desservant, l’organisation des entrées, fluides malgré les fouilles, les escaliers d’accès en béton et, enfin, la vue de l’enceinte, pleine à craquer, les supporters, leurs banderoles, les fumigènes… Bref, le spectacle du football, si souvent vu à la télé. Ahmed filmait tout sur Facebook, afin de partager des extraits du match avec ses amis, restés à Vichy. Et sa principale satisfaction fut de voir un but de Mariano, « un joueur qui vient du Real Madrid et qui, j’espère, va y retourner ».
Mais, pour Ahmed, le football s’affirme aussi comme un langage universel qui relie par-delà les frontières, les statuts et les religions, une baguette magique pour dialoguer avec des inconnus. En février, en route vers Aurillac, nous nous arrêtons pour prendre un café dans un village du Cantal. Un client du bar arrive et échange quelques mots avec Ahmed, qui porte son maillot fétiche frappé des écussons des derniers titres du club mythique. De son côté, le Cantalou a séjourné dans la capitale espagnole quelques semaines auparavant. L’occasion d’échanger quelques informations sur la ville où Ahmed compte passer ses premières vacances, si possible l’été prochain. Pour voir le mythique « stade Santiago-Bernabeu et le musée avec les trophées ». Et, peut-être, rencontrer Emilio Butragueno.
Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités.
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