Turquie : deux journalistes de « Cumhuriyet » libérés
Turquie : deux journalistes de « Cumhuriyet » libérés
Le Monde.fr avec AFP et Reuters
La justice turque a ordonné vendredi la remise en liberté, le temps de leur procès pour subversion, de deux journalistes poursuivis pour leurs liens présumés avec le prédicateur en exil Fethullah Gülen.
Le rédacteur en chef du quotidien « Cumhuriyet », Murat Sabuncu, a été libéré le 9 mars près d’Istanbul, en Turquie. / HUSEYIN ALDEMIR / REUTERS
Un tribunal turc a ordonné vendredi 9 mars la libération conditionnelle du rédacteur en chef et d’un journaliste du quotidien d’opposition Cumhuriyet, jugés pour aide à des groupes « terroristes ».
La libération du rédacteur en chef Murat Sabuncu et du journaliste d’investigation Ahmet Sik a été prononcée par le tribunal de Silivri, près d’Istanbul, au terme de la sixième audience du procès de 17 collaborateurs de Cumhuriyet. Elle a été accueillie par les cris de joie des soutiens des accusés dans la salle d’audience. M. Sik n’a pu retenir ses larmes en écoutant la décision. Les deux journalistes restent poursuivis dans cette affaire, a précisé le tribunal, qui a par ailleurs maintenu en détention le patron du quotidien, Akin Atalay. M. Atalay est le dernier des 17 accusés à être encore en prison, tous les autres ayant été remis en liberté conditionnelle petit à petit depuis un an.
« Faire notre travail comme avant »
M. Sabuncu était incarcéré depuis 495 jours – la même durée que M. Atalay – et Ahmet Sik 434 jours. Tous deux ont quitté la maison d’arrêt vendredi soir. « Les problèmes de la Turquie ne seront pas résolus seulement parce que nous sommes libérés », a déclaré M. Sabuncu à sa sortie. « En tant que journalistes, notre mission consiste à faire notre travail sans crainte, comme avant ». « Ce n’est pas un jour pour se réjouir », a affirmé pour sa part M. Sik, en rappelant que le patron de Cumhuriyet restait détenu.
La sixième journée de ce procès, qui s’est ouvert le 24 juillet 2017, avait démarré dans la tension. La gendarmerie, positionnée devant le palais de justice, avait essayé d’empêcher les partisans des accusés de parler aux médias. Certains y sont tout de même parvenus, comme le député d’opposition Utku Cakirozer.
« Oppression »
« Il est inacceptable que des journalistes restent si longtemps en prison simplement pour avoir exprimé leur opinion ou avoir publié des articles », a-t-il dit à l’AFP. « Qu’on mette fin à cette oppression », titrait vendredi Cumhuriyet.
Parmi les accusés figurent d’autres grands noms des médias en Turquie, comme le chroniqueur francophone Kadri Gürsel et le caricaturiste Musa Kart. Tous risquent jusqu’à 43 ans de prison pour des accusations d’aide à trois groupes classés « terroristes » par Ankara : le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation d’extrême gauche appelée DHKP-C, et le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen. Ce dernier, qui s’est exilé aux Etats-Unis, est désigné par Ankara comme l’instigateur de la tentative de putsch du 15 juillet 2016, mais nie toute implication.
Cumhuriyet rejette ces accusations et soutient que ce procès vise à réduire au silence l’un des derniers journaux indépendants du pays.
Lors de l’audience de vendredi, le tribunal a entendu plusieurs témoins dont un ancien journaliste de Cumhuriyet, Altan Oymen. « Ces accusations sont inimaginables », a-t-il affirmé, rappelant que Cumhuriyet avait été un des premiers à rendre compte des activités de Fethullah Gülen.
Le journaliste Ahmet Sik, libéré vendredi, est d’ailleurs un virulent critique du prédicateur. Dans un livre publié en 2011 et initialement interdit, « L’Armée de l’imam », il avait dénoncé l’emprise de Gülen sur les institutions turques, ce qui lui avait même valu un bref séjour en prison.
Journalistes visés
Ce procès suscite l’inquiétude des partenaires occidentaux de la Turquie, où les autorités ont multiplié les arrestations de journalistes. Jeudi, 25 journalistes accusés d’être liés à la tentative de putsch ont ainsi été condamnés à des peines allant jusqu’à sept ans et demi de prison.
Dans une autre affaire, la Cour de cassation de Turquie a annulé vendredi une condamnation à cinq ans et dix mois de prison du journaliste d’opposition Can Dündar en 2016, estimant que celui-ci devrait recevoir une peine bien plus lourde pour « espionnage ». M. Dündar, exilé Allemagne, avait été condamné en mai 2016 pour révélation de documents secrets.
La Turquie occupe la 155e place sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par l’ONG Reporters sans frontières (RSF).
Pour le directeur d’Amnesty International pour l’Europe, Gauri van Gulik, les libérations des deux journalistes de Cumhuriyet vendredi constituent une « lueur d’espoir » dans un pays qui est le « plus grand geôlier de journalistes au monde ».