Côte d’Ivoire : les frères rivaux de la majorité montrent les muscles en vue de la présidentielle de 2020
Côte d’Ivoire : les frères rivaux de la majorité montrent les muscles en vue de la présidentielle de 2020
Par Haby Niakaté (Abidjan, correspondance)
Les cadres du PDCI d’Henri Konan Bédié et du RDR d’Alassane Ouattara, pourtant alliés, ont fait assaut d’attaques verbales ces derniers jours. Décryptage.
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, alors en campagne pour sa réélection, avec Henri Konan Bédié lors d’un meeting à Abidjan, le 13 septembre 2015. / Thierry Gouegnon/REUTERS
C’est une crise qui couve depuis des mois. Le week-end des 10 et 11 mars, elle a enfin éclaté au grand jour. Premier acte, à Yamoussoukro, la capitale ivoirienne, samedi 10 mars. Réunis pour un hommage à leur président, l’ancien chef de l’Etat Henri Konan Bédié, les cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) enchaînent les discours. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont un message fort à faire passer à leur allié, le Rassemblement des républicains (RDR) de l’actuel président ivoirien, Alassane Ouattara.
« Au PDCI, nous ne prenons pas les armes lourdes… Nous sommes un parti de paix, un parti de développement, un parti d’unité, un parti de dialogue. Tout s’obtient par le dialogue », dégaine Jean-Louis Billon, ex-ministre du commerce et porte-parole adjoint du PDCI, faisant référence à la décennie de crise politico-militaire qu’a traversée le pays entre 1999 et 2011. Et d’ajouter : « Le temps des sacrifices est terminé. Nous attendons de nos partenaires qu’ils nous soutiennent en 2020 [date de la prochaine présidentielle], comme nous avons su les soutenir en 2010 et en 2015. »
Un autre cadre du parti, Emmanuel Gbocho, dénonce le contexte actuel, « où les nominations sont soumises au parrainage, au copinage, au népotisme, au militantisme, au sponsoring et aux recommandations des boss ».
Dans l’assistance, alors qu’une grande partie des cadres exulte, une autre semble surprise de la teneur des propos. Et pour cause : pour qui connaît, ne serait-ce qu’un peu, l’extrême hiérarchisation du PDCI, penser que cette salve de petites phrases acerbes n’ait pas été décidée, validée, en haut lieu est quasi impossible.
Echange de bons procédés
Alors, que veut Henri Konan Bédié, bientôt 84 ans ? C’est simple : que le successeur d’Alassane Ouattara soit issu de ses rangs. Sa formation a soutenu en 2015 la réélection de l’actuel chef de l’Etat en échange du soutien de celui-ci et du RDR en 2020. Un accord scellé secrètement fin 2014 entre deux partis qui se sont longtemps affrontés mais doivent, à terme, fusionner sous la bannière du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), cet échange de bons procédés étant censé assurer à chacun une place au soleil et, au pays, paix et stabilité…
Le hic, c’est que le pacte a été interprété de manière totalement différente par les deux partenaires, le PDCI de Bédié privilégiant la présidentielle de 2020 sur la fusion des partis et le RDR de Ouattara, le contraire. Qui a promis quoi à qui ? Dans quels délais ? Le quiproquo, total, est entretenu depuis plus de trois ans par un incroyable et interminable dialogue de sourds entre les deux dirigeants.
Dans l’attente de signes fermes annonçant ce retour d’ascenseur, Bédié distillait régulièrement dans ses interviews et discours quelques piqûres de rappel. « J’ai la parole du président Ouattara, j’ai la parole du RDR », affirmait-il en 2015. « Le PDCI aura un candidat en 2020. Ce sera le candidat unique du RHDP. Il faut qu’Alassane Ouattara et moi nous entendions sur ce point pour que cette alternance ait lieu », déclarait-il en 2017.
Le week-end dernier, à Yamoussoukro, fini de tourner autour du pot ! A un an et demi du scrutin, Bédié change de stratégie et montre les muscles, à travers ses lieutenants. « La base, les militants n’attendaient que cela. C’est un secret de Polichinelle, très peu d’entre eux sont favorables au mariage avec le RDR, explique un cadre de la formation, qui souhaite rester anonyme. Ils ont aussi mal pris les récents limogeages de plusieurs personnalités issues du parti, congédiées d’institutions ou d’entreprises publiques par le président Ouattara. Ils y ont vu une volonté d’humilier et de casser le PDCI. Les discours de Yamoussoukro sont une manière de sonner le rappel des troupes. Et cela ne fait que commencer, puisque nous avons encore de nombreux événements en préparation sur l’ensemble du territoire. »
Deuxième acte, à Abidjan, la capitale économique, dimanche 11 mars. Le RDR d’Alassane Ouattara réplique. Tir groupé des barons, à l’occasion d’un meeting. « Je dis à Jean-Louis Billon qu’il est trop petit pour parler de politique avec nous », assène Adama Bictogo, vice-président du RDR chargé de la mobilisation, qui qualifie, entre autres gracieusetés, l’ancien ministre de « politicien de salon » devant aller « apprendre à jouer au bowling à l’hôtel Ivoire ». « Un politicien alimentaire », « un aigri », renchérit Kandia Camara, secrétaire générale du parti et ministre de l’éducation nationale. D’autres membres du PDCI en prendront également pour leur grade.
« Des débats périphériques »
Interrogé par Le Monde Afrique au lendemain de cette passe d’armes, le porte-parole du RDR, Mamadou Touré, explique qu’il faut « dissocier les prises de parole de certains cadres des positions officielles des partis ». Pour lui, les deux formations sont encore sur la même longueur d’onde, celle d’une unification prochaine. Les listes communes déposées il y a quelques jours à peine pour les sénatoriales, prévues à la fin du mois de mars, en seraient la preuve.
« Un comité de haut niveau a d’ailleurs été mis en place par les présidents Bédié et Ouattara afin de faire avancer concrètement ce dossier du parti unifié, explique Mamadou Touré. Il est coprésidé par le vice-président Daniel Kablan Duncan, du PDCI, et le premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, du RDR. Il se réunit régulièrement, travaille sereinement. Toutes les questions importantes y sont abordées, et les contributions des membres du PDCI, comme le secrétaire exécutif Maurice Kakou Guikahué, font grandement avancer les discussions. Le reste, ce ne sont que des débats périphériques qui n’ont pas de sens, et nous refusons de nous y inscrire. » Quant au point de vue de Jean-Louis Billon, il est si important que « Bédié a visiblement décidé de s’en passer en ne nommant pas [l’ancien ministre] dans le comité de haut niveau », relève ironiquement le porte-parole du RDR.
Pour obtenir ce qu’il veut de Ouattara, le dirigeant du PDCI souffle donc le chaud et le froid. Affirmant, d’un côté, qu’il n’aspire plus au pouvoir, l’ayant déjà exercé, et laissant, de l’autre, libre cours à des motions successives de soutien à sa candidature en 2020. Capable de poser tout sourire un jour avec des cadres du RDR et de laisser ses militants clouer au pilori la formation présidentielle le lendemain, quand il ne drague pas de nouveaux alliés en coulisses.
Comme avant l’élection de 2015, personne ne semble véritablement savoir quel sera son prochain coup – à l’époque, il avait fallu attendre un an avant le scrutin pour réellement connaître sa stratégie. Comme avant l’élection de 2015, son parti se divise entre partisans et adversaires de la fusion avec le RDR. Et comme en 2015, certains, au RDR comme au PDCI, se demandent s’il n’est pas « complètement dépassé » par ses troupes. Avant la dernière présidentielle, Henri Konan Bédié avait qualifié d’« irréductibles » ses opposants en interne et prédit, avec une certaine clairvoyance, leur déroute s’ils se présentaient à l’élection en indépendants. Restent deux questions : sa stratégie peut-elle être aussi payante en 2020 qu’en 2015 et jusqu’où seront prêts à aller les irréductibles version 2020 ?