Les Maliens voteront en juillet pour la présidentielle, mais comment ?
Les Maliens voteront en juillet pour la présidentielle, mais comment ?
Par Joan Tilouine
A quatre mois du scrutin, les autorités n’ont pas encore choisi de solution technique pour l’identification des électeurs et la transmission des résultats.
Une électrice malienne tient sa carte biométrique, à Bamako, lors des municipales du 20 novembre 2016. / HABIBOU KOUYATE/AFP
Le chef de l’Etat malien, Ibrahim Boubacar Keïta, martèle que le premier tour de l’élection présidentielle se tiendra bien le 29 juillet, sans d’ailleurs préciser s’il sera candidat à sa propre succession. Le nord et le centre du pays restent pourtant les théâtres de la « guerre contre le terrorisme ». La menace des groupes djihadistes, à la résilience éprouvée, pourrait empêcher la bonne tenue du scrutin. Mais pas question pour le gouvernement de décaler ce rendez-vous attendu par une nation meurtrie, comme l’ont été les locales et les régionales censées se tenir fin 2017 mais reportées au mois d’avril 2018 pour des raisons sécuritaires.
A ces questions militaires s’ajoutent toutefois celles, délicates, de l’identification de près de 7 millions d’électeurs maliens et de la transmission des résultats. A un peu plus de quatre mois du scrutin, la solution technique n’a toujours pas été choisie, ce qui suscite déjà des critiques de la part de l’opposition et fait naître l’inquiétude au sein du gouvernement. L’option technologique reste pour le moment privilégiée par les autorités, désireuses d’organiser un scrutin crédible et non contesté.
Début mars, le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation, Mohamed Ag-Erlaf, l’a rappelé dans une lettre adressée à son collègue chargé de l’économie. Cette missive, dont l’objet est : « demande de passation de marché par entente directe » et que Le Monde Afrique a pu consulter, détaille l’unique proposition d’offre technique qui émane du groupe français Idemia, nouveau nom donné en septembre 2017 à OT-Morpho, fruit de la fusion des sociétés Oberthur Technologies (OT) et Morpho.
La première, OT, a été choisie en 2016 pour fournir le passeport biométrique malien. L’année suivante, en novembre, elle était exclue pour deux ans et demi de tous les contrats financés par la Banque mondiale, après avoir reconnu avoir eu recours à la corruption au Bangladesh en vue d’obtenir un contrat. La seconde, Morpho, ancienne filiale du groupe français d’aéronautique Safran, avait décroché le contrat de fourniture de cartes d’électeurs pour la présidentielle de 2013.
Cinq ans plus tard, l’entité OT-Morpho devenue Idemia prévoit « la mise en place d’un système d’authentification biométrique de la carte d’électeur », « la transmission des résultats par le scan des procès-verbaux » et des « moyens de communication pour la transmission des résultats à partir des bureaux de vote y compris à l’étranger ». Plutôt que l’utilisation de bulletins de vote imprimés, cette offre privilégie l’option numérique avec la livraison de tablettes à raison de « 27 000 kits mobiles », la formation de 75 000 agents électoraux à leur maniement et la « mise en œuvre de moyens de communication réseau dans 60 commissions de centralisation pour la transmission des résultats ». Le tout en trois mois et pour un montant, jugé élevé, de 54 millions d’euros (hors taxes) « payable sur les exercices budgétaires 2018-2019 ».
« Difficile, sinon impossible, à mettre en place »
Le comité de pilotage des élections a d’ores et déjà validé cette proposition, le 23 février. Le ministre de l’administration territoriale a demandé début mars au gouvernement « de bien vouloir autoriser la conclusion du marché ». Cela n’a pas manqué de provoquer l’ire du président malien, selon l’un de ses conseillers qui dit, sous couvert d’anonymat, craindre « une prédation économique » et redouter des dysfonctionnements techniques que l’opposition pourrait pointer. Comme ce fut le cas lors de l’élection présidentielle contestée d’août 2017 au Kenya, où OT-Morpho avait fourni les tablettes utilisées pour la reconnaissance biométrique et la transmission électronique des résultats, soupçonnés d’avoir été manipulés.
« L’offre retenue me semble difficile, sinon impossible, à mettre en place à quatre mois du scrutin sur un territoire où la couverture Internet et d’électricité reste faible, poursuit un proche conseiller du premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. On pourrait tout aussi bien s’orienter vers une solution peu coûteuse avec l’usage d’encre indélébile et la signature de registres, comme en France. »
Associé de la société OT pour la fourniture de passeports biométriques, l’homme d’affaires malien Samba Bathily reste lui aussi circonspect et se défend d’avoir soutenu le projet d’Idemia. « J’ai investi conjointement avec OT pour les passeports, mais je n’ai rien à voir avec le dossier concernant ces élections, piloté par Morpho, dit-il. Je l’ai expliqué à Idemia : je ne crois pas en leur offre et, au regard du calendrier très serré, une solution plus classique me semble préférable pour le Mali. » Contactée, la société Idemia n’a pas souhaité réagir.
Le président Ibrahim Boubacar Keïta et son chef de gouvernement devront trancher dans les prochaines semaines. Lors d’un entretien accordé au Monde fin février, le chef de l’Etat avait déclaré faire confiance à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) tout en précisant : « J’ai mission de faire en sorte que la démocratie soit confortée au Mali. Je ne peux pas prendre le risque d’un quelconque glissement du calendrier électoral. » Après des protestations de l’opposition auprès de la CENI et des autorités, le gouvernement a confié l’audit du fichier électoral à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).