Avec l’Affaire Skripal, Theresa May cherche aussi à marquer des points au Royaume-Uni
Avec l’Affaire Skripal, Theresa May cherche aussi à marquer des points au Royaume-Uni
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Le chef de l’opposition, Jeremy Corbyn a refusé de soutenir les sanctions visant la Russie, « coupable », selon Londres, d’avoir empoisonné un ex-agent double sur le sol britannique.
La première ministre britannique Theresa May, à la Chambre des communes, le 14 mars 2018. / HANDOUT / REUTERS
Expulsion de vingt-trois diplomates russes, suspension des contacts diplomatiques, nouvelle législation contre « les activités d’Etat hostiles », Coupe du monde de football privée de présence de la famille royale. Theresa May a annoncé, mercredi 14 mars, une panoplie calculée au plus juste de mesures de rétorsion contre la Russie qu’elle tient pour responsable de l’empoisonnement, à Salisbury, de l’ancien agent double Sergueï Skripal et de sa fille Youlia, qui restent entre la vie et la mort. « Il n’existe pas d’autre conclusion que celle qui désigne l’Etat russe comme coupable de la tentative de meurtre de M. Skripal et de sa fille et des menaces contre la vie d’autres citoyens britanniques à Salisbury », a déclaré la première ministre.
« C’est un affront à l’interdiction de l’usage des armes chimiques, a-t-elle ajouté. Et c’est un affront au système légal dont nous et nos partenaires internationaux dépendons. » Mme May s’est félicitée de la solidarité exprimée par les alliés du Royaume-Uni – Etats-Unis, Allemagne et France en tête. « Ce qui est arrivé ici pourrait se passer dans n’importe quel autre pays » occidental, a-t-elle souligné.
En défenseuse de l’Etat de droit
En affichant sa fermeté et en se posant en défenseuse de l’Etat de droit, Mme May a aussi cherché à marquer des points sur la scène politique britannique, où son leadership est ardemment contesté. Le refus du chef de l’opposition, Jeremy Corbyn, de soutenir explicitement les mesures annoncées, son appel au « maintien d’un dialogue solide avec la Russie » et son étonnante dénonciation des coupes budgétaires au Foreign office, ont été visiblement accueillis avec une certaine consternation sur ses propres bancs.
Son ambivalence pourrait aider Theresa May à élargir ses soutiens et à renforcer sa position, alors que les discussions avec Bruxelles sur le Brexit entrent dans une phase cruciale. L’ambassadeur russe à Londres, Alexandre Yakovenko, lui, a jugé la réaction britannique « absolument inacceptable » et digne d’une « provocation ».
En 2006, quatre diplomates russes avaient été expulsés après l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko, ancien agent du KGB, à Londres. Cette fois, Theresa May a donné une semaine à vingt-trois officiels russes, considérés comme des espions (sur cinquante-neuf en poste à Londres) pour faire leurs bagages. Cette expulsion, « la plus lourde depuis plus de trente ans », devrait « radicalement porter atteinte » aux capacités des Russes en matière de renseignement, a assuré la première ministre.
En outre, une invitation à Londres adressée au chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a été révoquée et aucun officiel ni membre de la famille royale n’assistera à la Coupe du monde de football cet’été en Russie. Mais un boycott pur et simple de la compétition, qui aurait été fort impopulaire, a été écarté. De même, la première ministre n’a pas annoncé la suspension de l’autorisation d’émettre de la chaîne publique russe RT (ex-Russia Today) alors que l’Ofcom (l’autorité indépendante des communications) lui avait adressé mardi une mise en demeure. Rien non plus concernant les actifs financiers et immobiliers à Londres de nombreux Russes proches du pouvoir – une cible sensible pour l’élite russe, mais aussi pour la City.
Theresa May a aussi annoncé la mise en chantier d’une nouvelle loi contre « toutes formes d’activité hostile d’Etat » et l’adoption d’une disposition de type « Magnitsky act », du nom de la loi américaine qui permet de sanctionner les complices d’atteintes aux droits de l’homme perpétrés par la Russie.
Tandis qu’à Moscou le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitry Peskov, dénonçait des accusations britanniques « dépourvues de fondements et de preuves », le leader du Labour, Jeremy Corbyn, a semblé abonder dans ce sens devant le Parlement. Suggérant la possibilité que la Russie ait « par négligence perdu le contrôle » de l’agent innervant utilisé pour empoisonner les Skripal, il a fait crédit à Moscou de sa demande de remise d’un échantillon. Tout en qualifiant d’« affreux et épouvantables » les événements de Salisbury, il a accusé le gouvernement d’avoir affaibli la diplomatie britannique par ses coupes budgétaires.
Le plein de soutiens
La manière dont la ministre des affaires étrangères du cabinet fantôme, Emily Thornberry, pourtant proche de M. Corbyn, regardait ses chaussures pendant l’intervention de ce dernier et le manque de traditionnelles marques d’approbation parmi les députés de l’opposition, pourraient refléter une certaine réserve au sein de son camp.
La députée Yvette Cooper, candidate malheureuse à la direction du Labour en 2015 face à M. Corbyn, l’a d’ailleurs contredit en soulignant ensuite que les méthodes de l’état russe doivent faire l’objet d’une « condamnation sans équivoque ».
Au contraire, Theresa May a, elle, fait le plein de soutiens, y compris parmi les élus « rebelles » sur la question du Brexit. Le consensus autour du discours de la première ministre s’est étendu au Parti national écossais (SNP) ordinairement hypercritique et même aux Libéraux démocrates. Vincent Cable, le chef de ces derniers, a apporté son soutien « total » à Mme May. Dix jours après l’attentat de Salisbury et huit jours avant un Conseil européen décisif pour le Brexit, la première ministre britannique pourrait commencer à percevoir des « dividendes russes ».
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