Lutte contre le cancer : le bond en avant de l’Algérie
Lutte contre le cancer : le bond en avant de l’Algérie
Par Saïd Aït-Hatrit (Alger, contributeur Le Monde Afrique)
Après des années d’inertie, le pays développe ses capacités de traitement, mais des lacunes demeurent dans la formation et la prévention.
En septembre 2017, la ville de Tlemcen a réceptionné son premier centre anti-cancer (CAC). Le nombre de structures consacrées à la lutte contre cette maladie en Algérie est ainsi passé à quinze (dont cinq dans le privé), contre quatre en 2013, selon le professeur Messaoud Zitouni, coordonnateur du Plan national anti-cancer. Sur la même période, le nombre d’appareils de radiothérapie installés est passé de sept à trente-deux.
Cet investissement considérable, l’Algérie ne pouvait plus le retarder, tant les autorités ont failli au cours de la décennie 2000. Des patients dépistés mouraient faute d’avoir été traités dans les délais. S’il est aisé, en Algérie ou dans d’autres pays africains, d’avoir accès à la chirurgie ou à la chimiothérapie, il est beaucoup plus rare de pouvoir profiter de la radiothérapie, qui nécessite un accélérateur de particules dont le coût peut dépasser 3 millions d’euros.
La transition épidémiologique, qui fait du cancer l’une des principales causes de mortalité sur le continent, était pourtant connue : 42 720 nouveaux cas de cancer ont été répertoriés en 2015 en Algérie et 61 000 sont attendus en 2025.
La construction de certains CAC, récemment livrés, était d’ailleurs prévue depuis le milieu des années 2000. « De 2006 à 2012, j’ai participé à plusieurs appels d’offres en radiothérapie. Ils étaient retirés puis réapparaissaient, sans qu’aucun n’aboutisse jamais, se souvient un vendeur d’accélérateurs. J’ignore si cela était dû à la bureaucratie, mais la situation d’urgence ne permettait pas de perdre de temps. »
Des délais trop longs
La construction de la plupart des CAC a été relancée en 2013, peu avant que le Plan national anti-cancer, doté de 185 milliards de dinars (environ 1,6 milliard d’euros à l’époque) jusqu’en 2019 et placé sous la tutelle de la présidence de la République, soit adopté en 2015.
« Il y a cinq ans, je vous mettais au défi d’obtenir un rendez-vous en radiothérapie en moins de deux ans », témoigne le professeur Mokhtar Hamdi Cherif, fondateur du premier registre du cancer d’Algérie, à Sétif, en 1989, et président de l’association Ennour, qui vient en aide aux personnes malades : « Aujourd’hui, dans notre ville, un patient peut en obtenir un en moins de deux mois grâce aux trois accélérateurs en service. »
Pour sa part, le docteur Ahmed Bendib, chef du service sénologie au centre Pierre-et-Marie-Curie d’Alger, note que si « davantage de patients sont traités, les délais sont toujours trop longs » dans la capitale. Pour accélérer les procédures, il n’est pas rare que les patients du Grand Alger soient envoyés vers des CAC moins sollicités.
« Ma mère a pu bénéficier d’une prise en charge rapide dans un CHU d’Alger grâce à des connaissances, témoigne Amina. Par la suite, un ponte de la cancérologie de Marseille, un ami algérien, nous a rassurés en nous confirmant la qualité de son protocole de soins. En revanche, nous avons dû faire la radiothérapie dans une clinique de Blida [à 60 km d’Alger], tout comme les contrôles qui nécessitaient des IRM, car les délais étaient trop longs dans le public. »
Des associations comme Ennour ont créé des maisons d’accueil pour recevoir les malades, ainsi que leurs proches, à Sétif, Blida ou Constantine.
Dans le cadre du programme en cours, cinq CAC doivent encore être réceptionnés d’ici un an dans le public, et un autre dans le privé, autorisé depuis 2008 à participer à la lutte contre le cancer. En revanche, « les discussions sont toujours en cours pour déterminer comment l’assurance maladie, qui rembourse les frais dans le public, peut participer à la prise en charge de nos patients », explique le docteur Saïd Mahmoudi. L’hôpital privé qu’il a ouvert en 2015 à Tizi Ouzou est équipé du premier PET-Scan du pays, un appareil qui permet de détecter des tumeurs cancéreuses.
Améliorer le dépistage
De nombreux enjeux d’organisation doivent encore être réglés. C’est le cas de la maintenance des appareils médicaux tels que les scanners, qui peuvent rester des mois en panne dans le public, a dénoncé en novembre 2017 le professeur Kamel Bouzid, président de la Société algérienne d’oncologie médicale. Les autorités ont insisté auprès des fabricants Varian et Elekta, leaders mondiaux de la radiothérapie, pour qu’ils soient directement présents en Algérie, notamment pour former des ingénieurs. Reste que, pour toute une gamme d’appareils, les pièces de rechange sont rares, les prestataires incompétents ou les contrats de maintenance mal négociés.
La question du stockage des médicaments est aussi posée avec insistance. En janvier, des associations se sont alarmées de l’indisponibilité momentanée de certains anticancéreux, poussant le ministère de la santé à créer une « cellule de veille ». Alors que les molécules manquaient dans les années 2000 pour la chimiothérapie, elles sont aujourd’hui parfois gaspillées, faute de formation de pharmaciens hospitaliers spécialisés en oncologie.
« On a voulu greffer un plan cancer sur un système de santé boiteux, qui n’est jamais évalué », s’énerve Ahmed Bendib. En novembre 2017, le ministre de la santé a annoncé un audit de tout le système sanitaire. « Par le passé, l’aspect matériel a prévalu sur l’aspect organisationnel et humain, et c’est ce que nous voulons changer avec le Plan, commente le professeur Zitouni. La gestion des stocks hospitaliers est devenue une science et nous devons mieux former nos gestionnaires. Mais changer tous ces comportements va prendre du temps. »
Toujours en termes d’organisation, en lieu et place de CAC isolés, Messaoud Zitouni souhaiterait que les futurs services de radiothérapie soient installés au sein de CHU afin de constituer des pôles de santé complets.
L’Algérie pourrait disposer d’une cinquantaine d’accélérateurs à l’horizon 2020, un niveau équivalent à celui du Maroc aujourd’hui. L’urgence actuelle est d’améliorer les capacités de prévention et de dépistage dans un pays où 70 % des personnes sont diagnostiquées à un stade tardif. « Pour 185 000 femmes de plus de 50 ans dans la région de Sétif, il nous faut environ vingt-trois appareils de mammographie, estime Mokhtar Hamdi Cherif. Or nous n’en disposons que de quatre. »