Réforme de la SNCF : une opération de long terme à prévoir
Réforme de la SNCF : une opération de long terme à prévoir
Par Anne Rodier
Le « projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire » a été présenté le 14 mars en conseil des ministres. Si Emmanuel Macron a lié le statut des cheminots à la dette de la SNCF, pour Orange et pour La Poste, la fin du statut des fonctionnaires n’était pas un projet en soi mais une conséquence de l’ouverture à la concurrence.
Le projet de loi autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnances, présenté le 14 mars en conseil des ministres, prévoit la transformation de la SNCF en société anonyme, la disparition du statut de cheminot pour les futurs embauchés et l’ouverture à la concurrence du rail français.
Comparaison n’est pas raison... Seules la SNCF et à La Poste répondent à un message politique commun : le désendettement. En revanche, les trois entités font face à une pression commune, à savoir l’ouverture à la concurrence poussée par Bruxelles et une transformation du modèle économique qui aboutit à la fin du statut de fonctionnaire.
Il faut remonter aux années 1990 pour comprendre sa mise en œuvre et ses conséquences pour l’entreprise, pour l’organisation du travail et pour les salariés. Car c’est à cette période que l’administration des Postes et télécommunications s’est scindée pour donner naissance à des établissements autonomes de droit public, transformés dans un second temps en sociétés anonymes, qui deviendront à terme Orange et La Poste. Deux entreprises de taille hors normes, à l’image de la SNCF, avec respectivement quelque 90 000 et 215 000 collaborateurs en France, hors filiales.
Si, pour la SNCF, Emmanuel Macron, lors de son entretien du 1er juillet 2017 avec un panel de cheminots, a lié le statut des cheminots à la dette de la SNCF, pour Orange comme pour La Poste, la fin du statut des fonctionnaires n’était pas un projet en soi mais une conséquence de l’ouverture à la concurrence.
« Il y a eu un double mouvement d’évolution des structures juridiques d’une part et d’autre part de recrutement sous contrat privé », se souvient Sébastien Crozier, président CFE-CGC Orange.
Il a fallu attendre vingt ans
Ce fut une opération de long terme. Pour les deux entreprises, il a fallu attendre vingt ans après l’arrêt des recrutements de fonctionnaires pour passer sous la barre des 50 % de l’effectif. La part de fonctionnaire devrait être de 40 % chez Orange en 2019 et à La Poste, au dernier bilan du 31 décembre 2017, elle était de près de 43 %. Pour une fois, la France peut se comparer à l’Allemagne : « le départ du dernier fonctionnaire de la poste allemande est attendu en 2043. On est à peu près sur le même calendrier en France », souligne Nicolas Galepides, secrétaire fédéral à Sud-PTT.
Le recrutement des fonctionnaires s’est arrêté en 1997 chez France télécom, à l’occasion de l’entrée en Bourse. A La Poste, c’est en 2001 que la fin du recrutement par concours a été annoncée. « On avait alors protesté debout sur les tables, car pour nous c’était un déni du service public », se souvient Nicolas Galepides.
Mais la première conséquence de ce changement a été de pouvoir recruter sur des postes précis. « Jusque-là, France télécom recrutait par masse, des inspecteurs, par exemple, qu’on redistribuait ensuite dans les différents métiers selon les besoins », indique Bernard Bresson, qui fut responsable des ressources humaines de France télécom à partir de 1988, puis DRH groupe de 2000 à 2005, et représentant du groupe à Bruxelles jusqu’en 2007.
L’harmonisation des statuts est passée par des adaptations successives. Les caractéristiques liées au statut de fonctionnaire variaient en fonction des corps qui étaient très nombreux. Chez France télécom, des lignards qui montaient aux poteaux téléphoniques, aux dessinateurs projeteurs ou aux jardiniers, chaque corps avait ses propres règles, ses conditions de travail, ou ses primes.
L’organisation était horizontale pour les cadres et verticale pour les autres. Les corps structurés verticalement par métier pour les non-cadres ont été fusionnés. « On a commencé à travailler à la classification horizontale par la « pesée des postes » pour l’ensemble des non-cadres. C’est cette politique d’emploi qui a permis un redéploiement d’un corps à l’autre », explique Bernard Bresson.
« Beaucoup d’accompagnement »
« La sortie des corps a posé des problèmes qu’on a résolu par un pacte social implicite qui promettait le maintien du niveau de rémunération, la fin de l’obligation de déménager [liée au statut de fonctionnaire] et la possibilité de changer de métier. Mais d’un corps à l’autre, les salariés issus d’un même concours se retrouvaient dans des fonctions de niveaux différents, ce qui a provoqué des difficultés. Il a fallu faire beaucoup d’accompagnement, se souvient M. Bresson.
« La nouvelle classification a bousculé les habitudes. Des salariés se retrouvaient avec des supérieurs qui n’avaient pas fait leurs classes à l’intérieur », se rappelle Bruno Diehl, coauteur de Orange, le déchirement. France télécom ou la dérive du management (Gallimard, 2010). A France télécom comme à La Poste, on est passé d’une logique de niveau à une logique de fonction. Puis une convention collective commune a été écrite, qui est toujours en vigueur.
Côté rémunération, l’harmonisation s’est faite avec la création de ce qu’on a appelé le « complément France télécom », dont La Poste s’est inspirée à son tour. Le principe retenu a été d’additionner le traitement indiciaire des fonctionnaires aux diverses primes pour établir le nouveau salaire de base des cadres. Ce qui permettait de rendre la main aux managers sur les promotions. « Puis le complément France télécom a été appliqué aux non-cadres, mais sans introduire d’évolution individualisée de la rémunération », précise M. Bresson. A savoir que les cadres dépendent de l’augmentation indiciaire et les non-cadres des hausses décidées par accord d’entreprise.
Bilan, aujourd’hui, la question de la rémunération n’est pas conflictuelle entre les personnels, « mais le manque de transparence a laissé un sentiment d’iniquité. Pour un même travail, les bruts diffèrent et pour un même montant brut, les nets sont différents. Et on est en permanence obligé de gérer le double statut », regrette Sébastien Crozier.
Fonctionnaires en moyenne mieux payés
A La Poste, les fonctionnaires sont en moyenne mieux payés que les salariés de droit privé, avec une rémunération mensuelle brute moyenne de 2 629 euros pour les fonctionnaires contre 2 338 euros pour les salariés. « Les nouveaux facteurs sont embauchés sous contrats privés ont des salaires plutôt faibles. Mais l’avantage pour les CDI est que La Poste ne fait pas de plan social », note Nicolas Galepides.
Le maintien en emploi, qui est un des premiers avantages associés au statut de fonctionnaire, n’est pas devenu un problème, ni à Orange ni à La Poste. « Les salariés sous contrat privé n’ont pas d’épée de Damoclès au-dessus de la tête », résume Stéphane Chevet, secrétaire national CFDT, chargé du pôle poste, finance, distribution de La Poste.
« En revanche, il peut y avoir des jalousies, car les fonctionnaires sont majoritairement plus âgés et peuvent bénéficier des préretraites », précise-t-il. Chez Orange, il n’y a pas de plan social non plus et la courbe des départs à la retraite est aussi à la hausse, mais surtout « il y a d’autant moins de tension que les fonctionnaires ont été très malmenés sous la période Lombard », rappelle M. Crozier.
La période Lombard, c’est « l’accident managérial », comme le qualifie Bruno Diehl, qui a été rendu possible par l’obligation de mobilité géographique des fonctionnaires. « Didier Lombard a utilisé le droit des fonctionnaires et le fait qu’ils étaient sans protection sur la question des mobilités », explique Sébastien Crozier. C’est pourquoi, à l’époque, les fonctionnaires ont parlé de rupture du « pacte social ».