Tournoi des six nations : après leur Grand Chelem, les Françaises posent la question du professionnalisme
Tournoi des six nations : après leur Grand Chelem, les Françaises posent la question du professionnalisme
Par Adrien Pécout (Colwyn Bay (pays de Galles), envoyé spécial)
Les joueuses du XV de France après leur Grand Chelem, vendredi 16 mars, à Colwyn Bay. / PAUL ELLIS / AFP
« Safi, un appel ! » L’attaché de presse de la Fédération française de rugby jongle avec les numéros et les téléphones. Se relaient, à ses côtés, une bonne partie des joueuses du XV de France. Safi N’Diaye mais les autres aussi, toutes ont des choses à dire aux journalistes français ayant suivi à distance leur Grand Chelem au Tournoi des six nations après cette ultime victoire (38-3) en terre galloise, à Colywn Bay, vendredi 16 mars.
Toutes, surtout, pensent au coup d’après. Autant les Françaises viennent là de remporter le cinquième Grand Chelem de leur histoire, autant elles se demandent encore comment confirmer en Coupe du monde : en huit éditions, déjà six places sur le podium, mais encore aucune finale. « Il y a des questions qu’il va falloir se poser », synthétise la demi de mêlée Yanna Rivoalen, veste de costume sur les épaules.
Dit autrement : faut-il ou non aller dans le sens des Néo-Zélandaises ? Les « Black Ferns » (« les Fougères noires »), qui dominent déjà la scène mondiale avec cinq titres sur huit possibles, viennent de franchir une étape supplémentaire : elles vont bientôt recevoir leurs premiers contrats professionnels, selon une annonce faite en début de semaine la Fédération néo-zélandaise de rugby.
Les niveaux des rémunérations, encore fort modestes par rapport à ceux des hommes, permettront des contrats de 33 000 dollars par an (26 800 euros, soit près de 2 230 euros mensuels) pour les plus élevés. Ce système va encore plus loin que celui des quinzistes anglaises, déjà rémunérées pendant quelques mois l’an passé dans la seule perspective de la Coupe du monde 2017. Une épreuve qu’elles avaient perdue en finale face à ces mêmes Néo-Zélandaises après avoir éliminé la France en demies.
« On voit qu’il y a pas mal de nations qui se structurent, observe Yanna Rivoalen. Si on veut pas qu’il y ait une cassure entre elles et nous, il va falloir qu’en France aussi des dispositifs soient mis en place pour pouvoir rivaliser. »
En attendant de préciser ces dispositifs, la question du professionnalisme reste ouverte pour les quinzistes françaises, encore au statut amateur. Médaille d’or au cou, Gaëlle Hermet « trouve ça vraiment génial pou les Néo-Zélandaises, ça prouve que le rugby féminin prend une grande ampleur ». « On a cœur nous aussi d’aboutir à ce genre de chose », poursuit l’étudiante toulousaine en ergothérapie, 21 ans, déjà capitaine et troisième-ligne du XV de France à son jeune âge.
« Je ne sais pas si ça me plairait autant »
Le discours de Marine Ménager, même âge, diffère quelque peu. La trois-quarts-centre lilloise aussi trouve ça « génial », mais elle affiche une réserve : « Ne faire que du rugby dans ma vie, je ne sais si ça me plairait autant », concède l’étudiante en licence de sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS).
Yanna Rivoalen, Lilloise elle aussi, partage cette quête d’« équilibre » entre le rugby et son métier d’enseignante d’éducation physique et sportive dans un lycée picard. « J’ai des aménagements horaires, j’ai un mi-temps. » Pour la sportive, « être professionnelle remettrait quand même pas mal de choses en question par rapport à nos vies, à commencer par le lieu de domiciliation. »
Tournée contre la Nouvelle-Zélande
De fait, des cas de joueuses payées pour jouer au rugby existent déjà en France depuis 2014, mais ils concernent seulement l’équipe nationale de rugby à 7. Toutes ces joueuses-là ont dû déménager près de Marcoussis (Essonne), siège de la Fédération française de rugby. Elles s’entraînent à 75 % de leur temps en vue des Jeux olympiques, contre un salaire de 2 000 euros par mois.
Jessy Trémoulière est bien placée pour en parler. La buteuse joue à la fois pour l’équipe de France à XV et à 7. « Les premiers mois qui ont suivi mon contrat, j’ai vu la transformation au niveau physique, maintenant je me sens plus à l’aise, j’ai gagné du coffre à force de courir tous les jours. »
La joueuse du Stade rennais en appelle aux dirigeants de sa fédération : « Ils veulent du résultat ? Nous, on fait du résultat. Maintenant on espère que les choses vont bouger. A eux de faire les choses. Il faut y réfléchir autour d’une table. »
La Française, enveloppée dans un drapeau breton à la fin du match, en a-t-elle déjà glissé un mot à Serge Simon ? Le vice-président de la FFR représentait ce vendredi le président Bernard Laporte, resté à Cardif avant le match des hommes samedi. Avant son élection en décembre 2016, celui-ci promettait déjà l’« instauration de contrats fédéraux » permettant de rémunérer les joueuses, y compris en rugby à XV.
Samuel Cherouk, l’un des deux entraîneurs des Bleues, avance une autre piste de réflexion : « Il faut jouer beaucoup de matchs à haute intensité pour apprendre des choses, pour savoir comment sortir de son camp quand une équipe met beaucoup de pression. » Le staff réfléchit déjà à la possibilité d’accueillir les Néo-Zélandaises à l’automne prochain pour une tournée de matchs en France. Un classique chez les hommes, une invitation encore jamais vue chez les femmes.