L’éditeur Tamasa consacre un coffret DVD à Alexander Mackendrick, ­cinéaste d’origine écossaise et fer de lance des ­studios britanniques Ealing. Il est l’auteur d’une dizaine de films ­remarquables mais restés globalement ignorés, en dépit de ses ­quelques titres de gloire, comme L’Homme au complet blanc (1951), Tueurs de dames (1955) ou Le Grand Chantage (1957).

Sous le ­titre de Trilogie de l’enfance, le ­coffret réunit trois longs-métrages très différents, dont The Maggie (1954) et Sammy Going South (1963) qui ont en commun ­d’inventer des duos cocasses ou aventureux entre de vieux ­baroudeurs et des petits garçons. Parmi eux, on trouve surtout La Merveilleuse Histoire de Mandy (Mandy, Crash of Silence, Prix spécial du Jury à Venise en 1952), une merveille depuis trop longtemps perdue de vue, sur une fillette atteinte de surdité.

Mandy est le rejeton choyé d’un paisible foyer de la bourgeoisie londonienne, jusqu’à ce que sa mère Christine (Phyllis Calvert) surprenne chez elle des troubles du développement et de la ­communication. Le diagnostic est sans appel : l’enfant est atteinte de surdité congénitale. Ses parents, dévastés, nourrissent sur la question des avis divergents. Son père, Harry (Terence Morgan), installe la petite chez ses parents, dans un univers surprotégé et coupé du monde extérieur, mais redouble ainsi son enfermement. Sa mère, quant à elle, aimerait placer Mandy dans un institut spécialisé, ce à quoi s’oppose ­farouchement son mari.

Christine prend donc sur elle de déménager seule à Manchester, où se situe l’établissement (un véritable ­centre pour enfants sourds où Mackendrick a posé sa caméra), et confie sa fille aux bons soins de Dick Searle (Jack Hawkins), pédiatre bourru aux méthodes ­innovantes. Mais le retard ­accumulé par Mandy creuse un gouffre avec les autres enfants et rend difficile son intégration.

Angoisses de l’enfance et de la parentalité

Si l’on s’en fie à son seul ­argument, La Merveilleuse Histoire de Mandy a tout d’un film prophylactique, voué à sensibiliser les ­familles britanniques au bon ­dépistage de la surdité. D’où vient qu’il charrie alors des émotions si complexes, parfois contradictoires, et déborde la seule question du handicap, pour toucher aux angoisses élémentaires de ­l’enfance et de la parentalité, ­saisies comme en miroir ?

D’abord, grâce à une mise en scène extraordinaire, qui multiplie les figures de l’enfermement, pour les faire voler en éclats à mi-parcours, dans un geste libérateur d’une puissance inouïe. Monde clos, en effet, que l’intérieur londonien cossu et propret des ­parents de Mandy, qui ressemble presque à une maison de poupée, sans aucune prise ni ouverture sur l’extérieur.

Sensation d’isolement, lorsque Mackendrick étouffe à l’occasion la bande-son, pour mieux nous faire partager la subjectivité sourde de Mandy. Intense appel d’air, enfin, quand une infirmière de l’institut fait ressentir à Mandy les vibrations de sa propre voix, au moment précis où la fillette pousse un cri d’effroi. Le film montre l’apprentissage naître ainsi d’une apothéose de la peur et échappe alors complètement au particularisme du handicap, pour toucher à l’universel. Car ­apprendre est la douleur la plus communément partagée.

Les stridences du désaccord

Mais le handicap de la petite fille fonctionne aussi à rebours, comme une mise en crise du foyer britannique. La conjugalité se laisse envahir par les stridences du désaccord, de la séparation, du ­divorce, de l’adultère (l’affection très spéciale qui naît entre le ­docteur Dick Searle et Christine). Le handicap contribue surtout à mettre au jour le rapport de ­pouvoir tacite, voire de subordination, qui régit le foyer, à travers la tentation autocratique du père, détenteur de l’autorité et ­provenant d’un milieu plus riche que son épouse.

Le film s’apparente ainsi à une singulière plongée dans l’inquiétude et le doute, d’une famille dont les liens se détricotent ­irrémédiablement. Avec son propre enfant, le couple idéal voit naître en son sein un champ ­insoupçonné, celui de la différence. Son surgissement les chasse immédiatement de l’éden tant convoité de la bonne conformité aux normes sociales. Il faut en revenir alors aux premiers mots du film, que Christine ­prononce en voix off : « Harry et moi, nous nous prenons à rêver que Mandy devienne femme d’affaires, artiste, ou bien simple ménagère, comme moi»

Mandy, c’est l’autre au cœur de l’identique. C’est ­surtout un grand point d’interrogation adressé à ses parents, ­débusquant au fond d’eux-mêmes ce désir de reproduction sociale, à laquelle n’échappent souvent pas la majorité des enfants dits « normaux ».

MANDY un film d'Alexander Mackendrick - Film annonce 2017
Durée : 01:33

Alexander Mackendrick : The Maggie (1954), Sammy Going South (1962), Mandy, Crash of Silence (1952). Coffret 3 DVD, Tamasa, 29,99 €. Sur le Web : fr-fr.facebook.com/Tamasa-Distribution-330131643671380