TV – « The Last Tycoon » : Hollywood sous l’influence du Reich
TV – « The Last Tycoon » : Hollywood sous l’influence du Reich
Par Renaud Machart
Notre choix du soir. Flamboyante, la série de Billy Ray évoque les arrangements du cinéma américain avec le régime hitlérien (sur Amazon Prime à la demande).
THE LAST TYCOON Trailer SEASON 1 (2017) Amazon Series
Durée : 01:36
Resté inachevé à la mort de Francis Scott Fitzgerald, en décembre 1940, The Last Tycoon (Le Dernier Nabab) parut en 1941, dans une version mise au point par son ami l’écrivain et critique Edmund Wilson. Cette histoire, considérée comme un roman à clé sur les milieux cinématographiques hollywoodiens des années 1930, a fait l’objet, en 1957, d’une adaptation pour une série dramatique télévisée de John Frankenheimer, avec Lee Remick et Jack Palance. En 1976, The Last Tycoon devint un film, signé Elia Kazan, sur un scénario de Harold Pinter, avec Robert De Niro.
Une deuxième édition littéraire, assurée par un universitaire spécialiste de Fitzgerald, a été publiée en 1993 sous le titre The Love of the Last Tycoon. C’est sur cette version que s’est fondée, en 1998, une adaptation pour le théâtre puis pour une série télévisée sur HBO. La chaîne câblée finit par y renoncer et par vendre les droits à Sony Pictures, qui en assura la production pour les studios d’Amazon Video en 2016.
Glamour en diable
Grâce à un budget conséquent, cette série est réalisée dans l’esprit d’un film hollywoodien flamboyant, reconstituant à grands frais l’époque des années 1930. C’est glamour en diable, avec une image volontiers vaporeuse qui agit comme un élégant sfumato.
Mais l’époque dépeinte est aussi celle où Hitler tente, par le biais de son consulat à Los Angeles, de faire la pluie et le beau temps sur le cinéma américain en censurant tout ce qui ne convient pas à la doctrine nationale-socialiste. La plupart des producteurs – dont beaucoup étaient juifs – plient l’échine car l’Allemagne est un pays où leurs films faisaient d’excellentes recettes.
Intrigues et doubles jeux
Monroe Stahr (Matt Bomer), un bourreau des cœurs encore endeuillé par la disparition de son épouse – une vedette aimée d’Hollywood –, va tenter de s’opposer à cette censure, avec l’appui réticent de son patron, Pat Brady (le granitique Kelsey Grammer), directeur d’un studio qui ne peut se permettre de perdre le marché allemand.
A cet axe s’agrègent des intrigues amoureuses, des doubles jeux, des drames et des violences sociales dont le terrain d’action est le studio de Pat Brady et les somptueuses résidences des nababs d’Hollywood. De sorte que le propos s’illustre par l’artifice, bien connu mais toujours efficace, du principe du théâtre dans le théâtre.
Célia Brady (Lily Collins) et Monroe Stahr (Matt Bomer). / ADAM ROSE
Les personnages de Monroe Stahr et Pat Brady auraient été calqués par Fitzgerald sur le producteur Irving Thalberg et le directeur de la Metro Goldwyn-Mayer Louis B. Mayer. Mais la série brouille les pistes en prenant de grandes libertés dans son adaptation et en faisant de ceux-ci deux personnages importants (Pat Brady emprunte même de l’argent à Louis B. Mayer…).
Le propos s’attache aussi à montrer comment Hollywood accueillit une vague de musiciens juifs européens dont certains décidèrent d’émigrer pour échapper aux rafles. La série aurait pu prendre modèle sur un compositeur de cinéma mais a préféré broder sur l’arrivée de membres de l’Orchestre philharmonique de Vienne à Hollywood, en marge d’une tournée de concerts.
La chose est improbable mais possible : les musiciens juifs n’avaient pas encore été chassés de cette formation. Mais elle permet d’évoquer, derrière la façade d’un propos divertissant pour le grand public, une dure réalité qui paraissait bien lointaine à beaucoup de juifs californiens à l’époque.
The Last Tycoon, série créée par Billy Ray. Avec Matt Bomer, Kelsey Grammer, Lily Collins, Dominique McElligott, Enzo Cilenti (EU, 2016-2017, 9 × 50-60 min).