Au Pérou, les Mochicas, un modèle de société pour les Incas
Au Pérou, les Mochicas, un modèle de société pour les Incas
Par Florence Evin
Le Quai Branly présente un gros plan inédit sur les premières villes nées au pied de la Cordillère des Andes.
Masque funéraire d’une grande prêtresse de San Jose de Moro, sur la côte nord du Pérou. / MUSÉE DU QUAI BRANLY-JACQUES CHIRAC/FLORENCE EVIN
Il y a deux mille ans, au pied de la Cordillère des Andes, sur une bande côtière de 500 kilomètres au nord de Lima (Pérou), les Mochicas posaient les bases d’une civilisation sophistiquée. Trois cent pièces originaires de cette côte pacifique révèlent, au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, à Paris, la richesse culturelle du « Pérou avant les Incas » comme l’annonce le titre de l’exposition. « Cela fait vingt ans à peine que l’on connaît l’existence des palais précolombiens de la période Mochica (ou Moche) du début de notre ère jusqu’à l’an 900 », soulignait Santiago Uceda Castillo, devant les maquettes originales en terre cuite – sortes d’ex-votos – de l’exposition dont il est le commissaire, et qui témoignent desdits palais et sanctuaires.
L’archéologue, directeur du Musée Huacas del Valle de Moche (Lieux sacrés de la Vallée de Moche), professeur à l’Université nationale de Trujillo – victime d’un arrêt cardiaque le 14 janvier –, était, peu de temps avant, à Paris, intarissable devant les bouteilles rituelles provenant de la fouille qu’il avait lancée et qu’il dirigeait au nord de Trujillo. Car « de Huaca de la Luna et de ses douze monticules, on ne savait rien », s’exclamait-il alors. L’énorme chantier de fouilles confirma, au rythme de trois-quatre mois par an, l’organisation sociale, politique, religieuse, complexe de ces populations vivant de la pêche et de l’agriculture, au pied de sommets culminant à quelque 6 000 mètres, de forêts et de vallées comptant une diversité unique de mammifères, d’oiseaux et d’espèces végétales.
Portrait réaliste d’un Huaco au turban, Mochica, réalisé en céramique modelée et peinte (300-400 ap. J.-C.), provenant de Huaca de la Luna. / MUSEO HUACAS DEL VALLE DE MOCHE, UNIVERSIDAD NACIONAL DE TRUJILLO, MINISTÈRE DE LA CULTURE DU PÉROU
En quechua, huaca signifie lieu sacré, mais plus encore. C’est le site d’origine d’un groupe social et une sépulture précolombienne. Un sanctuaire urbanisé au fil du temps et doté d’une nécropole. Sur la côte septentrionale péruvienne, la « Mésopotamie des Andes », apparaissent, dès 3 000-2 500 avant notre ère, de vastes complexes architecturaux élaborés, comme le souligne, carte à l’appui, l’archéologue Jeffrey Quilter (Université d’Harvard, Etats-Unis), dans le catalogue de l’exposition.
Une sorte d’Eden
Au Quai Branly, les yeux noirs, vifs et brillants, de Santiago Uceda Castillo, disaient son plaisir à partager ce qu’il avait mis au jour : à Huaca de la Luna, « les cinq temples superposés avaient été construits à chaque calendrier cérémonial, tous les soixante-douze ans, au moment où la constellation d’Orion est à la verticale du soleil », affirmait-il, tout en insistant sur l’importance de l’astrologie chez les Moche. Leur environnement ressemble à une sorte d’Eden, sous la protection naturelle de la Cordillère des Andes. Dans ce contexte propice, se développe une société d’agriculteurs et de pêcheurs à l’écart de toute zone d’influence extérieure. Poissons et crustacés du Pacifique fournissent une nourriture riche en protéines. L’étroite plaine côtière irriguée par les fleuves qui dévalent de la Cordillère garantit l’eau douce et par-delà la culture du maïs et du blé, grâce au réseau d’irrigation sophistiqué que les Moches mettent en place.
Divinité à corps de crabe et face humaine, avec boucles d'oreilles en tête de lama, dévorant une raie. Décorations en rouge et blanc. Anse tubulaire entre la tête et le dos. Pérou. / CLAUDE GERMAIN
Parmi les dizaines de céramiques exposées, les bouteilles cérémonielles, au goulot en forme d’étrier, évoquent la rivière et ses canaux de dérivation. Les décors peints racontent la vie quotidienne : la faune et la flore, dans sa diversité – hibou, puma, jaguar, lézard, chouette, héron, singe, cerf, condor, canard, cochon d’Inde, poisson-chat, crabe, oiseaux marins, courge, racines de manioc, etc. Une cruche anthropomorphe, figurant un prisonnier aux yeux exorbités, dit l’usage de substances hallucinogènes, que la forêt procure.
Aux fondements de la civilisation inca
« Aujourd’hui, on travaille dans la zone urbaine, pour comprendre le quotidien des gens que parfois on oublie. Comment vivaient-ils, mangeaient-ils, se soignaient -ils ?, interrogeait l’archéologue Santiago Uceda Castillo. Leur divinité principale est le dieu-montagne, représenté par le Serro Blanco, le pic sacré dominant le site.
La Dame de Cao, grande prêtresse provenant des fouilles de San Jose de Moro, exposée au Musée du quai Branly-Jacques Chirac. / GAUTIER DEBLONDE
La plus spectaculaire des pièces exposées est celle de la Dame de Cao, grande prêtresse mochica de San Jose de Moro (150-300 ap. J.-C.), découverte en 1991. Vêtue d’une sorte d’armure, robe longue constituée d’un maillage de petites plaques carrées en cuivre doré, elle porte un collier de grosses pierres semi-précieuses et est coiffée d’un diadème à figure de félin : symbole de force, d’agilité, d’endurance, les emblèmes du pouvoir. La prêtresse, associée au culte de la lune, prépare les prisonniers destinés au sacrifice. Elle présente à la divinité la coupe de leur sang. Il semble, qu’outre leur fonction religieuse, les femmes occupaient une place importante en politique jusqu’à la tête du pouvoir.
Boucle d’oreille représentant un sacrificateur tenant une tête coupée. / QUAI BRANLY-JACQUES CHIRAC/EDUARDO HIROSO MIO/LIMA, SAN JOSÉ DE MORO ARCHEAOLOGICAL PROGRAM
Santiago Uceda Castillo a réussi à montrer, à travers cette exposition inédite, un modèle de société aux fondements de la civilisation inca. Un hommage posthume lui sera rendu à l’occasion du colloque organisé, jeudi 29 mars au Quai Branly, sur le thème « Archéologie et matérialités au Pérou avant l’empire ».
« Le Pérou avant les Incas », Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 31, quai Branly, Paris 7e. Jusqu’au 1er avril. Du mardi au dimanche de 11 heures à 19 heures. Jeudi, vendredi et samedi, jusqu’à 21 heures. Entrée : 10 euros. www.quaibranly.fr