Mise en examen de Nicolas Sarkozy : indispensable justice
Mise en examen de Nicolas Sarkozy : indispensable justice
Editorial. Ce n’est pas d’acharnement, mais d’une remarquable ténacité, dont les juges du pôle financier ont fait preuve en mettant de nouveau en examen l’ancien président de la République.
Nicolas Sarkozy, le 14 juillet 2017, à Nice. / VALERY HACHE / AFP
Editorial du « Monde ». Nicolas Sarkozy et ceux de ses « amis » qui lui restent fidèles ne manqueront pas de dénoncer une nouvelle fois l’acharnement de la justice et des médias contre l’ancien président de la République. Enquêtes à charge, accusations sans preuves, ont-ils systématiquement affirmé lorsque, à plusieurs reprises ces dernières années, M. Sarkozy a été mis en cause ou mis en examen par la justice. Ce dernier a notamment été mis en examen pour « corruption » et « trafic d’influence » (affaire dite « des écoutes », en lien avec le dossier Bettencourt) et il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour « financement illégal » de sa campagne présidentielle de 2012 (affaire Bygmalion).
Ce n’est pourtant pas d’acharnement que les juges du pôle financier ont fait preuve en mettant de nouveau en examen l’ancien président, mercredi 21 mars. Mais d’une remarquable ténacité dans un dossier d’une tout autre gravité. Ils le soupçonnent, en effet, de « corruption passive et financement illégal de campagne électorale » – en l’occurrence celle de 2007, qui avait conduit à l’élection de M. Sarkozy.
Ils y ont explicitement ajouté un motif sans précédent dans l’histoire de la Ve République : « recel de détournement de fonds publics libyens ». En clair, ils soupçonnent l’ancien président d’avoir bénéficié, pour financer cette campagne électorale, de fonds occultes versés par un Etat étranger, et pas n’importe lequel : la Libye du colonel Kadhafi, un dictateur excentrique mais implacable, financeur durant des décennies de nombreux mouvements terroristes dans le monde et qui fut accusé d’avoir fait exploser le vol Pan Am de Lockerbie en 1988.
Tué dans des conditions confuses au cours de l’intervention internationale menée par la France, la Royaume-Uni et les Etats-Unis en 2011, sous le couvert de l’ONU, pour mettre un terme à la guerre civile qui menaçait de tourner au bain de sang en Libye, M. Khadafi n’est plus là pour témoigner dans cette affaire. Mais, au terme d’une enquête tentaculaire, menée depuis cinq ans, les juges ont estimé disposer d’éléments assez solides pour mettre en cause directement Nicolas Sarkozy.
Un champ d’investigations complexes
Initialement, c’est Mediapart qui a déclenché l’enquête. Le site avait notamment publié en avril 2012, entre les deux tours de l’élection présidentielle, une note de 2006 des services secrets libyens faisant état d’un accord entre MM. Kadhafi et Sarkozy pour financer la campagne (de 2007) à hauteur de 50 millions d’euros. Qualifié de faux grossier par la défense de l’ancien président, ce document a été, depuis, certifié par un collège d’experts. Et il a ouvert aux enquêteurs un champ d’investigations aussi complexes que stupéfiantes.
Ce qui s’est précisé, au cours de l’enquête, est en effet un réseau d’intermédiaires internationaux douteux, rompus aux affaires de ventes d’armes et aux contrats commerciaux assortis de commissions occultes, en lien avec plusieurs des plus proches collaborateurs de M. Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur et préparait sa campagne de 2007. C’est à ce titre que Claude Guéant, alors son directeur de cabinet avant de devenir secrétaire général de la présidence, ainsi que son conseiller Brice Hortefeux ont été interrogés par les juges sur les liens qu’ils entretenaient avec plusieurs responsables libyens, les voyages discrets qu’ils ont à l’époque effectués à Tripoli et les importantes sommes d’argent liquide qui semblent avoir irrigué la campagne électorale de 2007.
M. Sarkozy bénéficie, c’est l’évidence, de la présomption d’innocence. Nul doute qu’il ne cessera de dénoncer l’inanité des charges qui pèsent désormais contre lui. Et rien ne préjuge de la suite de l’enquête et de sa conclusion. Mais, pour que trois juges chevronnés aient pris la responsabilité de le mettre en examen pour ces motifs, il faut, à tout le moins, qu’ils disposent de très solides éléments. Si leurs soupçons sont fondés, l’opprobre jeté sur l’ancien président de la République sera indélébile.