Procès de Tarnac : les policiers à l’heure des explications
Procès de Tarnac : les policiers à l’heure des explications
Par Henri Seckel
Trois anciens membres de la SDAT témoignaient mercredi lors d’une audience aux allures de montagnes russes pour la défense.
Des policiers, le 11 novembre 2008, à Tarnac (Corrèze) lors des interpellations. / THIERRY ZOCCOLAN / AFP
C’est un spécimen rare, le premier et le dernier que l’on aura vu en chair et en os dans cette salle d’audience, mais on a eu le temps d’en profiter : un policier de l’antiterrorisme est venu témoigner à visage découvert pendant plus de quatre heures, mercredi 21 mars, au sixième jour du procès de Tarnac.
Personne n’avait demandé à Fabrice Gardon de venir. Il s’est porté volontaire, afin de « couper court aux fantasmes » et « défendre l’honneur » de la sous-direction antiterroriste (SDAT), ce service de la police judiciaire dont les agents ont assuré la filature décrite dans le fameux « PV 104 ». M. Gardon n’était pas avec les agents censés avoir vu la Mercedes de Julien Coupat et Yildune Lévy, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, au pied d’une voie ferrée qu’on les accuse d’avoir sabotée. Il était leur supérieur hiérarchique, et veut saluer « leur travail sérieux injustement remis en cause ».
Appuyé à son pupitre, le quadragénaire refait donc tout le film, de l’ouverture de l’enquête préliminaire en avril 2008 à la fameuse nuit du sabotage. Ses propos se confondent alors presque avec ceux du PV 104 qu’il connaît par cœur, et que la défense considère comme un faux. Le costume est strict, le cheveu ras, le récit limpide. Conclusion : « Bien que notre souci soit la quête permanente de la rigueur, il peut arriver qu’on marque dans un PV des choses qui ne correspondent pas à 100 % à la réalité. Mais quelques approximations de forme n’enlèvent rien à ce qui a été constaté. »
Fabrice Gardon marque un point lorsqu’il raconte qu’un agent sur place l’a appelé à 5 h 23 pour lui signaler un événement bizarre survenu quelques minutes plus tôt sur la ligne de TGV : « Son téléphone portable borne sur place, il se trouve forcément dans le secteur. » Aucun avocat de la défense ne contestera ce point. La théorie de Julien Coupat est pourtant que la filature a cessé autour de minuit, et que plus un policier ne se trouvait dans les parages ensuite.
Une présidente mordante et perspicace
Corinne Goetzmann, la mordante et perspicace présidente du tribunal, entre alors en piste et va mettre le témoin en difficulté sur plusieurs points. Dix-sept policiers ont participé à la filature, un seul a signé le PV 104. « L’unicité du signataire et une pratique dans beaucoup de services », tente M. Gardon. Réponse de la présidente : « Un PV n’a de valeur probante que si le rédacteur rapporte ce qu’il a vu ou entendu personnellement. » Or, c’est ici tout l’inverse puisque le PV compile les observations de tout le monde.
En outre, la juge ne comprend pas que, s’ils étaient bien là, les agents n’aient pas trouvé – ils ne l’ont pas cherché – le crochet du sabotage sur la caténaire. « Je ne suis pas certain que beaucoup de policiers français s’intéressaient à cette histoire de crochet à béton à ce moment-là », ose le témoin.
Corinne Goetzmann s’interroge encore, sans obtenir de réponse satisfaisante, sur l’absence d’investigations au sujet d’un retrait effectué par Yildine Lévy à 2 h 44 la nuit des faits, événement qui aurait pu la disculper. Enfin, elle envoie le policier dans les cordes avec l’épisode rocambolesque du témoin T42 – auteur, sur demande des enquêteurs, de deux témoignages totalement contradictoires au fil de l’instruction – et l’accuse d’avoir recouru à des pratiques « contraires à la loyauté de l’enquête » qui, sans les révélations des médias à ce sujet, auraient pu « induire le tribunal en erreur » : « Comment aurait-on fait pour savoir à quel moment ce témoin dit la vérité et à quel moment il est manipulé ? » Fabrice Gardon passe un sale quart d’heure.
La défense se saborde puis se ressaisit
Les avocats de la défense prennent alors la parole, et l’audience, une curieuse tournure. Corinne Goetzmann les avait pourtant mis sur des rails ; on assiste à une sorte de sabotage. Me Jérémie Assous (avocat de Julien Coupat) s’emmêle les pinceaux dans des histoires d’horaires ou de patronymes et pinaille sur des détails qui égarent l’assistance. Me Jean-Christophe Tymoczko (avocat de Yildune Lévy) pose des questions déjà posées un quart d’heure plus tôt, et se fait gronder par la présidente lorsqu’il interroge le policier sur ses orientations politiques. Seule Me Marie Dosé (avocate de Yildune Lévy) parvient à faire vaciller le témoin, mais sur des questions annexes. Démolir le PV 104, qu’on annonçait si fragile, n’est pas si simple. Pour la première fois, ce n’est ni dans le public, ni du côté de la défense qu’on voit des sourires, mais sur le visage du procureur Olivier Christen.
En fin de journée, l’audition de deux agents « filocheurs » de la SDAT anonymisés inverse de nouveau la tendance. Leur apparition – cachés derrière une porte – sur les écrans géants et leur voix transformée façon Dark Vador provoquent un fou rire général. Et les réponses du « témoin n°5 » vont redonner le sourire à la défense.
Corinne Goetzmann commence : « Vous, personnellement, est-ce que vous avez pu identifier les occupants du véhicule lors de la filature ?
– J’ai pu identifier M. Coupat.
– A quel moment, à quel endroit ?
– Le lieu, je ne pourrais pas vous dire. A une intersection.
– Il faisait encore jour à ce moment-là ?
– Je ne sais pas. Ce n’est pas la nuit noire, mais ça commence à s’assombrir. La nuit commence à tomber quoi.
– Vous en avez informé le chef du dispositif ?
– Oui, comme dans toute surveillance traditionnelle.
– Ça ne figure pas dans le PV. On lit que les occupants ont été identifiés, certes, mais à 21 h 50. »
Le « témoin n°5 » sort les rames.
Me Assous poursuit : « Qu’avez-vous fait à la fin de la filature ?
– Un débriefing avec les agents sur place.
– Vos collègues qui ont inspecté la voie de chemin de fer vous ont-ils fait part d’événements particuliers qu’ils ont vus ou vécus ?
– Non. On était tous un peu pressés de rentrer chez nous vu l’heure. »
Les agents présents sur les rails affirment pourtant avoir vu un « arc électrique » au passage du TGV, lequel a failli les écraser au passage, selon leurs dires. Il peut sembler étrange qu’ils n’en aient pas parlé aux collègues.
Enfin, Me Dosé relit des déclarations du « témoin n°5 » à l’enquêteur qui l’interrogeait sur la filature : « Ils tournaient sans arrêt, on a joué sur un périmètre de quelques kilomètres. Nous avons eu l’impression d’être mordus. » Julien Coupat et Yildune Lévy auraient-ils vraiment commis un sabotage alors qu’ils se savaient manifestement suivis ?
Bref. Les témoins sont interrogés sur des souvenirs lointains, sans doute difficiles à relater avec précision, mais certaines réponses sont de nature à jeter un doute sur leur sincérité. Une chose est sûre, alors que la moitié du procès est écoulée : on n’avance pas à grande vitesse vers la vérité. Trois autres policiers anonymisés de la SDAT témoignent ce jeudi. Fin des débats vendredi 30 mars.