Au procès de Tarnac, les policiers face aux bizarreries du « PV 104 »
Au procès de Tarnac, les policiers face aux bizarreries du « PV 104 »
Par Henri Seckel
Trois agents du SDAT ont justifié jeudi les imprécisions de cette pièce maîtresse de l’accusation, que la défense a abondamment soulignées.
La 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris est revenue lors de l’audience du 22 mars sur la nuit du 7 au 8 novembre 2008. / PASCAL LACHENAUD / AFP
La 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris continue de passer ses journées en pleine nuit, en l’occurrence celle du 7 au 8 novembre 2008, dont il semble de plus en plus clair que son déroulement ne le sera jamais vraiment. Vingt-quatre heures après leurs collègues 4 et 5, les témoins n° 1, 2 et 3, tous anciens policiers de la Sous-direction antiterroriste (SDAT), étaient amenés, jeudi 22 mars, à donner leur version de la filature qu’ils sont censés avoir effectuée cette nuit-là du côté de Dhuisy, en Seine-et-Marne.
Julien Coupat et Yildune Lévy ont donc passé la septième journée du procès Tarnac à écouter – sans les voir, puisqu’ils témoignaient anonymement – ceux qui disent les avoir repérés il y a dix ans à proximité d’une ligne de TGV qu’on allait retrouver sabotée le lendemain matin. L’audience a viré à l’opération « sauvetage du PV 104 », le fameux procès-verbal de la filature en question, dont l’accusation a fait sa pièce maîtresse, et que la défense ne cesse d’essayer d’abattre depuis dix ans en affirmant qu’il s’agit d’un faux. Au bout de près de deux semaines de procès, le PV 104 est loin d’être en miettes, mais les policiers ont dû ramer pour justifier les erreurs procédurales et les bizarreries factuelles qui le caractérisent, et que Corinne Goetzmann n’a pas manqué de souligner jeudi.
La présidente du tribunal se demande par exemple pourquoi le PV n’est signé que par un policier, alors qu’ils sont dix-sept – dont douze des services secrets, qui ne viendront donc pas témoigner – à avoir participé à la filature.
« C’est l’usage, répond témoin n° 2. Le PV est une synthèse de l’ensemble des constatations des membres du dispositif.
- Mais quelle valeur probante peut-on accorder à la constatation d’un officier qui note ce que lui a dit un fonctionnaire dont on ne pourra savoir ni l’identité, ni où il se trouvait au moment des faits, parce qu’il est couvert par le secret défense ? »
« On n’est pas dans une surveillance visuelle permanente »
Au sujet des anomalies – le PV fait par exemple passer le véhicule « sous l’autoroute » alors que son trajet le fait forcément passer par-dessus –, le témoin n° 3, auteur dudit document, s’explique : « J’ai confronté les notes prises au cours de la surveillance à des outils cartographiques pour compléter les noms de voies ou de communes. Au moment où vous rédigez le PV, il est délicat de se souvenir si le véhicule passe sur ou sous l’autoroute. Evidemment il a pu y avoir des confusions, et j’en suis le premier désolé. »
« On était derrière un objectif qui avait un comportement atypique, dans une zone atypique, poursuit-il, quand on lui fait remarquer qu’une halte du couple dans un hôtel ne figure pas sur le PV. On n’est pas dans une surveillance visuelle permanente. » Numéro 2 complète : « Il faut que le tribunal prenne en compte la réalité de ce qu’est une surveillance physique. Ce PV est examiné comme si on regardait une scène de crime figée, alors qu’il s’agit d’une filature pendant dix-neuf heures et sur plus de deux cents kilomètres. »
Reste ce point noir de la filature : personne n’a vu Julien Coupat et Yildune Lévy sortir de la voiture près de la ligne TGV, en extraire deux tubes en PVC de 2 mètres, les emboîter pour en faire une perche, escalader par-dessus la grille pour se rendre sur la voie, hisser le crochet sur la caténaire, revenir vers leur voiture, et démonter les deux tubes pour les y faire entrer. Comment est-ce possible avec tant de policiers sur place ? « Nous étions répartis dans une zone assez large et le seul qui aurait pu le constater, c’est moi », bredouille n° 2, qui ne songeait alors pas à un sabotage : « Pour moi, il s’agissait d’un énième arrêt du véhicule. On peut considérer que j’ai manqué de pertinence. Si j’avais poursuivi mon observation, l’affaire serait sans doute un peu plus simple. »
Les différents témoignages laissent, au moins, l’impression d’un manque de rigueur dans la filature et dans la rédaction du PV. Pour la défense, ils traduisent un manque de filature tout court. Selon les avocats des prévenus, c’est bien simple : il n’y avait personne après 2 heures du matin en Seine-et-Marne cette nuit-là. Ni le couple Coupat-Lévy, ni les policiers.