Jeu vidéo : « A Way Out », ou le plaisir de changer une ampoule à deux
Jeu vidéo : « A Way Out », ou le plaisir de changer une ampoule à deux
Par William Audureau
Cette rencontre entre le pitch de « Prison Break » et le style de « Uncharted » est uniquement jouable en coopération. Une ode maladroite mais plaisante à la fraternité.
« A Way Out » se veut le premier jeu d’action narratif spécialement fait pour être apprécié à deux. / Hazelight Studios
Il y a des œuvres qui fédèrent, d’autres qui divisent, et certaines, plus rares, qui invitent à se demander s’il est plus intéressant de changer une ampoule seul ou à deux. La production des suédois de Hazelight appartient aux trois catégories à la fois.
Dans ce jeu d’action-aventure, sorti vendredi 23 mars sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, les deux joueurs – car on ne peut pas jouer seul – incarnent Vincent, quadra plein de sang-froid, et Leo, braqueur sanguin, tous deux incarcérés après s’être fait piéger par le même homme.
Leur évasion sera tout autant une histoire de vengeance que de rédemption, un jeu sur l’évasion que sur la construction d’une famille. Leo l’orphelin donnerait tout pour retrouver son fils de 5 ans ; Vincent a abandonné sa femme enceinte pour poursuivre l’assassin de son frère.
A Way Out Official Game Trailer
Durée : 01:18
Une thématique pas tout à fait gratuite pour son réalisateur d’origine libanaise, Josef Fares, exilé avec son frère en Suède à ses dix ans et qui a déjà évoqué à plusieurs reprises le thème dans ses films. « A Way Out [une porte de sortie], c’est un titre qui peut aussi bien parler de prison que de la vie en général », prévenait-il en juin dernier, interrogé par Pixels.
Un jeu d’action sur la famille et la fraternité
Comme le touchant Brothers : A Tale of Two Sons, son précédent jeu, A Way Out met en scène deux personnages. Comme lui, il raccroche tous les enjeux à leur capacité à s’entraider. Comme lui, il thématise l’idée que seul, on n’est jamais complet. L’épopée initiatique légère et poétique d’alors a laissé place ici à de l’action « testostéronée », des visages burinés et une ambiance de film des années 1980, mais l’écriture reste subtilement autobiographique.
L’un des deux héros, Leo, est incarné par Fares Fares, le frère du réalisateur, et derrière son caractère impulsif, c’est celui de Josef Fares lui-même que l’on devine. Les Fares aiment être réunis, et le jeu est un hommage communicatif à la fraternité au sens large. Communiquer, s’aider, faire diversion, rejoindre, mais aussi défier, taquiner, battre, ou trahir : le jeu repose entièrement sur une grammaire du compagnonnage, l’art d’être deux dans la fuite.
« A Way Out » multiplie les séquences obligeant les deux joueurs à collaborer. / Hazelight Studios
Qu’il s’agisse d’escalader un conduit vertical en s’appuyant dos contre dos, de faire le guet pendant que son accolyte démonte un toilette, ou de piloter un pick-up tandis que son binôme est, arme au poing, sur le toit, de nombreux passages sont conçus pour que, depuis leur canapé (ou en ligne), les deux joueurs ne puissent progresser sans parler ensemble. C’est la réussite d’A Way Out : ses moments forts sont des moments de partage.
Innovations formelles et déjà-vu
Malheureusement, le fait de jouer à deux ne suffit pas toujours à relever une aventure souvent plan-plan. Par exemple, dans la dernière partie de l’aventure, les deux acolytes se retrouvent chacun en moto, poursuivis à travers la jungle mexicaine par un convoi armé, et le plus dur n’est pas de survivre, mais de compter dans combien de dizaines de jeux la même scène se retrouve déjà à l’identique.
Souvent A Way Out donne l’impression étrange et diffuse de s’être trompé de décennie. Dans son registre très rentre-dedans, ses références appuyées à la série télé Prison Break comme aux jeux Uncharted pour son format, Army of Two pour la « coop » ou encore Heavy Rain, pour la surcouche de sentimentalisme, sans même parler de sa réalisation technique datée, la production des suédois de Hazelight Studios semble relier directement 2018 aux années PlayStation 3.
Il s’en distingue toutefois par une idée formelle emballante : le jeu reprend la classique division du téléviseur en deux écrans, mais en laissant la ligne de démarcation voguer selon les scènes, renouvelant régulièrement les cadrages et dynamisant la mise en scène.
Dans « A Way Out », la ligne de partage des deux écrans invente une grammaire formelle pour la narration chorale à deux joueurs. / Hazelight Studios
Si l’astuce est sous-exploitée la plupart du temps, elle accouche tout de même de quelques séquences notables, comme une scène de fusillade à trois fenêtres simultanées, façon Nouvelle vague, ou un habile plan-séquence de plusieurs minutes papillonnant d’un héros à l’autre via les cursives d’un hôpital, relevé d’un hommage au célèbre plan de coupe de Old Boy, de Park Chan-wook. Mais là encore, à plusieurs reprises, par des dialogues prévisibles ou des enchaînements narratifs incohérents, A Way Out donne l’impression d’une écriture pas totalement maîtrisée.
Activités triviales
Difficile de s’expliquer certains échanges incongrus. Ainsi, lorsque l’impétueux Leo se moque de deux techniciens syndiqués en train de changer une ampoule. « Vous avez vraiment besoin d’être deux pour ça ? », s’esclaffe le héros. « Oui, c’est l’avantage quand on est syndiqués », répond l’un des deux avec désinvolture.
Drôle de séquence, où l’on pourra voir, au choix, une saillie gratuite d’un créateur contre la syndicalisation (alors même que le mécontentement social monte dans l’industrie) ; ou bien une mise en abyme taquine du principe même du jeu, interdit à un joueur sans binôme. Fût-ce pour jouer aux fléchettes, porter du linge ou manger à la cantine, autant d’activités triviales de l’aventure qui valent bien un changement d’ampoule.
Faire des tractions, jouer au base-ball, lancer des cartes... « A Way Out » s’écarte souvent de son histoire pour laisser les héros se défier. / Hazelight
Finalement, au bout de six petites heures de jeu, on ressort d’A Way Out l’esprit partagé, entre l’impression d’avoir passé sa soirée sur une production bis, et d’inévitables bons souvenirs de partie avec son ou sa partenaire de canapé. Et surtout, cette conviction nouvelle qu’à bien y réfléchir, changer une ampoule, ce ne peut être que plus drôle à deux.
En bref
On a aimé
- Le rythme très efficace
- Le mélange entre scènes d’action et séquences intimistes
- Quelques très bonnes idées de mise en scène
- Un jeu en coop ne peut pas être foncièrement mauvais
On n’a pas aimé
- Un fort sentiment de déjà-vu
- Réalisation technique datée
- Faire la courte-échelle pour enjamber un plot
C’est plutôt pour vous si…
- Vous avez un second joueur sous la main
- Vous aimeriez jouer à un Uncharted light à deux
- La manière dont on peut innover avec des jeux de caméra vous intéresse
- Vous aimez changer les ampoules en couple
Ce n’est pas pour vous si…
- Vous n’avez ni seconde manette ni abonnement en ligne
- Vous n’êtes pas venu là pour revenir en 2007, ok ?
- Vous avez une aversion pour les jeux linéaires
La note de pixels :
4/10 × 2 = 8/10