Au procès de Tarnac, journée ordinaire, journée exceptionnelle
Au procès de Tarnac, journée ordinaire, journée exceptionnelle
Par Henri Seckel
En ouverture de la dernière semaine d’audiences, lundi, il a notamment été question de « L’Insurrection qui vient », de cartes d’identité volées, et du niveau d’allemand de Julien Coupat.
A l’ouverture du procès de Tarnac, le 13 mars. / ALAIN JOCARD / AFP
Retour à l’ordinaire au procès de Tarnac : le tribunal siégeait de nouveau sous les ors du Palais de justice de Paris, lundi 26 mars, après avoir gambadé vendredi dans la verdure de Seine-et-Marne lors d’un transport sur les lieux du délit - le sabotage d’une ligne de TGV en 2008 -, où il s’agissait de vérifier quelques points litigieux du « PV 104 » sur lesquels l’accusation et la défense s’écharpent. Mais journée exceptionnelle au procès de Tarnac : il n’a pas été question une seule fois dudit « PV 104 », jusqu’ici omniprésent dans les débats, au cours d’une audience qui a vu le procureur de la République et Me Jérémie Assous, avocat de Julien Coupat, observer un silence presque total : une minute de parole cumulée à eux deux.
Journée exceptionnelle : on a entendu ceux que l’on entend jamais, les cinq dont on avait presque fini par oublier qu’il s’agissait aussi de leur procès – Christophe Becker, Bertrand Deveaud, Manon Glibert, Elsa Hauck, Benjamin Rosoux (cf. plus bas). Mais journée ordinaire : on a quand même surtout entendu Julien Coupat et Mathieu Burnel profiter de l’audience pour dérouler leur discours sur les ravages de l’antiterrorisme et de la procédure pénale à la française, face à une présidente admirable de patience, ou peut-être simplement anesthésiée à force d’entendre le même discours prononcé sur le même ton, mi-révolté, mi-ironique, par les deux mêmes prévenus.
Il faut dire que le thème du jour leur donnait l’occasion de vider leur sac, que dix ans d’une instruction unique en son genre ont empli de rancœur à l’encontre du système policier et judiciaire français. Il était question, en ce neuvième jour d’un procès entré dans sa dernière semaine, de revenir sur les conditions d’interpellation et de garde à vue des huit prévenus, ainsi que sur les 23 perquisitions ayant abouti, dans cette affaire, à la saisie de 610 objets.
18 au bac en allemand
Parmi ce butin hétéroclite – des affiches, des journaux, des tracts, des brosses à dents, des lampes frontales, aucun crochet en fer, aucune arme hormis une fronde, et deux gilets pare-balles dont aucun prévenu ne dit comprendre ce qu’ils faisaient à la ferme du Goutailloux –, les enquêteurs ont mis la main sur une cinquantaine de livres, notamment dans la bibliothèque située au-dessus de la mairie de Tarnac.
« La perquisition de la bibliothèque illustre parfaitement ce qu’est la construction d’un dossier policier puis judiciaire, a dénoncé Julien Coupat. On a une accusation à faire valoir, alors on ne sélectionne que ce qui cadre avec le récit qu’on veut faire. » Et d’énumérer une liste d’ouvrages aux titres sulfureux récupérés par les policiers, pour mieux les moquer : « On a Bréviaire du chaos. On se dit que ça, ça va incriminer dur ! Manque de bol, c’est un écrivain esthétisant à la Cioran du milieu du siècle. On a Le frisson de l’émeute. Manque de bol, c’est un livre contre les émeutiers, et sur les mesures qu’il faut prendre pour en venir à bout… »
Autre ouvrage sur lequel s’est arrêtée la présidente, Autonome in Bewegung (Les Autonomes en mouvement), qui évoque, en allemand, la pose de crochets sur des lignes lors du passage de trains de déchets nucléaires. Echange savoureux entre la présidente et Julien Coupat lorsque celui-ci explique que ses « quelques notions » d’allemand ne lui permettent pas de lire ce livre : « Quelques notions ? Vous avez eu 18 au bac en allemand, ne soyez pas modeste ! - J’ai une forme de modestie naturelle, et à ma décharge, j’ai eu 18 dans à peu près toutes les matières. Mais vous noterez que les gens qui font sept ans d’allemand, à 20 ans, vous leur demandez “wie geht’s ?” [comment va ?], ils ne peuvent pas répondre. Donc je ne crois pas que ma note en allemand soit incriminante. »
« On est en train d’incriminer Balzac ! »
Puisqu’on parlait livre, la vedette du jour a évidemment été L’Insurrection qui vient, « sujet acrobatique s’il en est », a souri la présidente au moment de l’aborder. Cet ouvrage – que les enquêteurs ont attribué à Julien Coupat, lequel s’en défend – a longtemps été la colonne vertébrale de la qualification « terroriste » accolée jusqu’en 2016 aux faits imputés aux huit prévenus, en raison de certains passages évoquant la façon de paralyser une métropole, notamment en bloquant les lignes de TGV. Il a donc été question de savoir qui en était l’auteur.
« Je trouve ça tellement dingue d’être debout dans un tribunal pour répondre si, oui ou non, on a écrit tel ou tel livre, s’offusque Mathieu Burnel. Ce n’est pas “acrobatique” comme vous l’avez dit, c’est scandaleux. Vous n’êtes pas gênée aux entournures de me poser cette question ?- Est-ce que toute question posée par un juge est forcément une question qui accuse ? rétorque la présidente. Ecrire ce livre n’est pas un élément d’accusation, mais ça l’a été pour certains passages. Ça reste d’actualité, puisqu’il est reproché à certains d’entre vous des dégradations d’une ligne de TGV. Il ne m’est pas possible de ne pas en parler. »
Julien Coupat prend la parole : « L’Insurrection qui vient brasse tellement large… Vous y trouverez toujours quelque chose qui permettrait de faire porter le chapeau à leurs auteurs. Par exemple, les enquêteurs en ont retenu cette phrase : “La vie de l’agent de police est pénible. Sa position au milieu de la société aussi humiliante et méprisée que le crime même. La honte et l’infamie l’enserrent de toutes parts, la société le chasse de son sein, l’isole comme un paria, lui crache son mépris avec sa paie, sans remords, sans regrets, sans pitié. La carte de police qu’il porte dans sa poche est un brevet d’ignominie.” Mais ça, c’est une phrase de Balzac. On est en train d’incriminer Balzac ! »
« Donc Julien Coupat, auteur de L’Insurrection qui vient, c’est une légende ? », demande la présidente. « Une légende policière, répond Mathieu Burnel. Quand la police, les médias, et le parquet disent “C’est lui qui a écrit ce bouquin”, c’est normal que tout le monde dise “C’est lui qui a écrit ce bouquin” ! » Julien Coupat conclut, blasé : « Accuser quelqu’un d’avoir écrit un livre… Depuis Voltaire, on a pourtant compris que ça n’était pas trop grave. »
Les autres délits du procès
Ces débats sont forcément éclipsés par la question du sabotage de la ligne de TGV reproché à Julien Coupat et Yildune Lévy, mais « Tarnac » est aussi le procès de Manon Glibert et de Christophe Becker, accusés de détention frauduleuse d’attestations Assedic falsifiées et de recel de cartes d’identité volées. On en a retrouvé quatre dans un placard de leur domicile à Limoges, dont les prévenus « ne s’expliquent pas » comment elles ont atterri chez eux. Ils mettent en avant la « vie collective » qu’ils menaient : « Plein de gens passaient chez nous, et il n’y avait qu’une chambre. » Par ailleurs, Mathieu Burnel, Julien Coupat, Elsa Hauck, Yildune Lévy et Benjamin Rosoux sont poursuivis pour refus de se soumettre au prélèvement biologique lors de leur garde à vue. Enfin, Julien Coupat, Bertrand Deveaud, Elsa Hauck et Yildune Lévy doivent répondre du délit d’association de malfaiteurs. Les prévenus encourent cinq ans de prison.