Un poster à l’effigie d’Abdel Fattah Al-Sissi, au Caire, le 27 mars. / AMMAR AWAD / REUTERS

Editorial du « Monde ». Faudra-t-il féliciter le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, au lendemain de sa probable réélection à l’issue de la parodie d’élection présidentielle qui se tient en Egypte du 26 au 28 mars ? La question ne se pose pas, car il est vrai que M. Sissi n’a pas entrepris de déstabiliser l’Union européenne en faisant assassiner ses opposants à l’arme chimique sur son territoire, contrairement au président russe.

Mais, si l’on s’en tient aux normes de la « démocratie » qu’il entend mettre en œuvre en Egypte, il y aurait assurément matière à débat. Car l’élection égyptienne n’a rien à envier au scrutin russe en matière de pluralisme. Presque tous les prétendants à la magistrature suprême, même ceux issus de l’armée comme le président sortant (le colonel Ahmed Konsowa, le général Sami Anan, le général et ex-premier ministre Ahmed Chafik, mais aussi le député Mohamed Anouar El-Sadate, neveu de l’ex-président Sadate, et l’avocat Khaled Ali), ont été intimidés ou arrêtés afin d’être empêchés de se présenter. Résultat, le dirigeant du petit parti Ghad (« demain »), Moussa Mustafa Moussa, qui avait annoncé qu’il voterait Sissi à la présidentielle, a dû se dévouer pour donner une légitimité minimale au scrutin. Ceux qui appelaient au boycottage de cette « farce électorale » ont été menacés de se voir accuser de porter atteinte à la « sécurité » du pays.

Pendant la campagne, le président n’a effectué aucun meeting et n’a accordé qu’une seule interview à un média d’Etat, comme s’il craignait que la moindre critique sur son bilan n’entraîne un débat plus large sur sa légitimité. Pourtant, le maréchal Sissi n’a rien à craindre : l’immense majorité, vaccinée par les trois années d’instabilité qui ont suivi la révolution de 2011, n’aspire qu’à la stabilité et à la sécurité.

Soutien des démocraties occidentales

Mais le bilan pèche : l’insurrection djihadiste, dont l’épicentre se situe dans la péninsule du Sinaï, n’a cessé de gagner en intensité ; les réformes économiques courageuses ont amputé le pouvoir d’achat des classes populaires. Alors qu’il a toutes les manettes, le président égyptien peine à restructurer un paysage politique en ruine après l’échec et la répression des Frères musulmans, dont le court passage au pouvoir, en 2012-2013, fut une calamité.

C’est au nom de cette menace – une Egypte de près de 100 millions d’habitants basculant dans l’islamisme – que les démocraties occidentales apportent un soutien sans faille au régime égyptien, à l’instar d’Emmanuel Macron, qui n’a pas jugé nécessaire de critiquer les multiples atteintes à l’Etat de droit, à la liberté d’expression, et les dérives autocratiques de son homologue lors de sa visite à Paris, à l’automne dernier.

Mais, en privé, les inquiétudes se font de plus en plus vives : l’Egypte ne décolle pas, son économie est incapable d’absorber une jeunesse trop nombreuse et mal formée ; le régime court derrière une société de plus en plus religieuse, voire bigote, ne parvenant pas à « réformer l’islam », comme l’avait promis le président Sissi ; l’anomie politique garantit un soutien de façade à un pouvoir plus que jamais dépendant de son appareil de sécurité aux jeux ténébreux.

S’il n’est pas possible d’infléchir le cours des choses en Egypte, au moins serait-il prudent de rappeler au président Sissi ses promesses de ne pas modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat. Car tel est désormais l’enjeu du second mandat d’un président qui abhorre la politique et ne cache pas son admiration pour le modèle chinois de Xi Jinping.