Au Mexique, une campagne présidentielle sous tension
Au Mexique, une campagne présidentielle sous tension
Par Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
Les violences et la corruption minent le pays et les Mexicains affirment leur rejet du gouvernement actuel et des partis traditionnels avant le vote du 1er juillet.
Des opposants au parti mexicain Morena brûlent des tracts, à Apodaca, le 25 mars 2018. / DANIEL BECERRIL / REUTERS
Le coup d’envoi de la présidentielle mexicaine est donné. C’est le plus grand scrutin de l’histoire du Mexique, avec 3 400 autres mandats nationaux et locaux en jeu. La campagne débute, vendredi 30 mars, sur fond de rejet du gouvernement et des partis traditionnels. La soif de changement des Mexicains profite à l’opposition.
Le favori des sondages, Andrés Manuel Lopez Obrador, promet d’« en finir avec la mafia au pouvoir », faisant du combat contre la corruption son cheval de bataille. Ses deux adversaires luttent de leur côté pour la deuxième place dans un scrutin à un tour qui permet des victoires à l’arraché.
Une élection historique qui pourrait marquer la fin du PRI
Quelque 88 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, le 1er juillet, pour élire leur président mais également 500 députés, 128 sénateurs, huit gouverneurs et près de 2 800 mandats locaux, dont celui de maire de Mexico. Le scrutin pourrait aussi marquer la fin d’un régime ; celui du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), qui a gouverné le pays durant soixante et onze ans jusqu’en 2000.
Après l’alternance politique du Parti action nationale (PAN, droite), avec les présidences de Vicente Fox (2000-2006) et de Felipe Calderon (2006-2012), l’ancien parti hégémonique est revenu au pouvoir avec l’élection d’Enrique Peña Nieto (2012-2018). Mais à l’issue de ces six ans, l’image du PRI est entachée par des scandales financiers et une violence record.
Andrés Manuel Lopez Obrador : le favori contre la « mafia au pouvoir »
Surnommé par ses initiales, AMLO, Andrés Manuel Lopez Obrador est crédité de 33 % à 42 % des intentions de vote. A la tête de son Mouvement de régénération nationale (Morena), le leadeur de la gauche se présente pour la troisième fois à une présidentielle. A 64 ans, celui qui fut maire de Mexico (2000-2005) fustige le système corrompu du PRI, maintenu par l’alternance du PAN.
Adulé par ses partisans, taxé de populisme par ses détracteurs, le tribun a lissé son image d’opposant radical. Il prône désormais le « pardon » et tend la main à ses anciens adversaires, issus de tous les grands partis. AMLO a même promis de « ne pas mettre M. Peña Nieto en prison » pour corruption. L’écart se creuse entre celui qui se pose en candidat du changement et ses deux adversaires, Ricardo Anaya (de 19 % à 23 % des intentions de vote) du PAN et José Antonio Meade (de 16 % à 24 %) du PRI.
Andrés Manuel Lopez Obrador, à la tête du Mouvement de régénération nationale (Morena). / HENRY ROMERO / REUTERS
Ricardo Anaya : ni droite ni gauche
Le plus jeune candidat à la présidentielle, Ricardo Anaya, 39 ans, a fait exploser le clivage droite-gauche, en nouant une étrange alliance entre son parti conservateur, le PAN, et deux formations progressistes, le Parti de la révolution démocratique (PRD) et le Mouvement citoyen (MC). Ce juriste, docteur en sciences politiques, joue la carte de la surenchère antisystème, en menaçant l’actuel président de poursuites judiciaires.
Mais l’ancien dirigeant du PAN est lui aussi suspecté d’enrichissement illicite. L’intéressé nie en bloc et dénonce un complot orchestré par le président. A son tour, M. Anaya accuse le candidat du PRI, M. Meade, de détournements de fonds.
Ricardo Anaya, à Guadalajara, le 23 mars. / HENRY ROMERO / REUTERS
- José Antonio Meade : le champion de l’ancien parti hégémonique
José Antonio Meade est le premier candidat du PRI non issu de ses rangs. Militant d’aucun parti, ce haut fonctionnaire a été ministre (affaires étrangères, développement social, finances) dans le gouvernement de M. Peña Nieto mais aussi dans celui de l’ancien président Calderon, du PAN (énergie, finances).
Le profil de ce docteur en économie semblait capable de séduire les électeurs des deux partis. Mais M. Meade peine à convaincre. L’impopularité de M. Peña Nieto, incapable de réduire la violence galopante et la corruption, pèse sur sa campagne.
Jose Antonio Meade, à Mexico, le 23 mars. / HENRY ROMERO / REUTERS
- Margarita Zavala : l’indépendante
Pour la première fois, des indépendants ont pu postuler à une présidentielle, grâce à une réforme en vigueur depuis 2014. Mais seule la candidature de Margarita Zavala, épouse de l’ancien président Calderon (créditée de 5 % à 7 % dans les sondages), a été validée par l’Institut électoral (INE).
Comme d’autres, la candidate indienne, María de Jesús Patricio, surnommée Marichuy, n’est pas parvenue à réunir les 870 000 signatures d’électeurs exigées par l’INE. Depuis, elle dénonce « une discrimination » envers les candidatures citoyennes.
Margarita Zavala, en meeting électoral à Mexico, le 11 mars. / GINNETTE RIQUELME / REUTERS
La crise des partis traditionnels
Chacun des grands candidats est à la tête d’une coalition. Baptisée « Le Mexique en avant », l’alliance droite-gauche (PAN-PRD-MC) de M. Anaya est comparée par ses opposants au « mariage de l’huile et de l’eau ».
Sous le slogan « Tous pour le Mexique », le candidat du PRI porte aussi les couleurs des partis Vert (PVEM, écologiste) et Nouvelle Alliance (NA, centre).
Quant à la coalition menée par AMLO, « Ensemble nous ferons l’histoire », elle fait grincer des dents au sein de la gauche en unissant Morena et le Parti des travailleurs (PT, gauche) avec le parti ultraconservateur Rencontre sociale (PES, évangélique), opposé à l’avortement et au mariage pour tous.
M. Lopez Obrador dicte l’agenda de la campagne et lui donne le tempo. Sa remise en cause de l’ouverture du secteur pétrolier au privé, votée en 2013, et de la construction d’un nouvel aéroport à Mexico provoque une levée de boucliers. Même le président a réagi sur les coûts financiers d’une révision des contrats signés. En face, AMLO tente de rassurer les milieux d’affaires. M. Anaya et M. Meade misent, eux, sur un sursaut des électeurs contre le favori.
Deux grands thèmes de campagne : le « boom » des violences…
C’est la première préoccupation des Mexicains. L’année 2017 a été la plus meurtrière depuis vingt ans (plus de 25 000 homicides). Les mois de janvier et de février ont confirmé ce « boom » avec 4 200 meurtres, soit 71 par jour, un record. Et tous les autres délits décollent.
Pour stopper l’hécatombe, AMLO a proposé une amnistie pour les narcotrafiquants, provoquant une vive polémique. Le candidat s’est ensuite ravisé, réservant la mesure uniquement aux petits cultivateurs de marijuana et de pavot. Une idée rejetée en bloc par M. Anaya, qui veut « renforcer le renseignement », et par M. Meade, qui souhaite « s’attaquer au blanchiment d’argent ».
… et la corruption endémique
La moitié des Mexicains déclarent verser des pots-de-vin aux fonctionnaires, selon une enquête de l’ONG Transparency International. Même le président est montré du doigt, après l’achat par son épouse, en 2014, dans des conditions douteuses, d’une somptueuse maison à Mexico. Une quinzaine d’anciens gouverneurs, dont des proches de M. Peña Nieto, sont par ailleurs emprisonnés, inculpés ou en cavale.
AMLO promet de « laver le gouvernement de la corruption de haut en bas ». M. Anaya propose un parquet autonome du pouvoir. M. Meade, lui, annonce la fin de l’impunité pour tous les mandats, celui de président inclus.