« Fake news » : des juristes s’inquiètent des contrôles de l’Union européenne
« Fake news » : des juristes s’inquiètent des contrôles de l’Union européenne
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Ils estiment que le service de vérification des faits de l’UE bafoue « la liberté d’expression et le droit à une procédure régulière ».
Une plainte auprès du médiateur de l’Union européenne a été déposée le 28 mars 2018 contre le service de « fact checking » de l’Union, dirigé par la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini – ici le 22 mars. / THIERRY ROGE /BELGA/ DPA
La Clinique juridique sur l’Union européenne, un organisme résultant d’un partenariat entre HEC Paris et la New York University School of Law, a déposé, mercredi 28 mars, une plainte auprès du médiateur de l’Union européenne (UE) contre le service de fact checking (« vérification des faits ») de l’UE, qui publie chaque semaine une Disinformation Review. Cette branche du service européen d’action extérieure (SEAE), dirigée par la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, a été créée sur décision du Conseil européen, au printemps 2017. Les chefs d’Etat et de gouvernements s’étaient alarmés de la multiplication de fausses nouvelles pouvant, notamment, influencer des résultats électoraux.
La Clinique juridique prône la transparence des institutions européennes et le respect des droits des citoyens. Son créateur, le professeur de droit et fiscalité à HEC Paris Alberto Alemanno, a d’abord posé des questions au service du SEAE. Le juriste, alerté par de premières mises en cause de journalistes, a réclamé l’accès aux documents fondant la base juridique du service antidésinformation et l’a interrogé sur sa méthodologie et ses critères de choix. Il lui a aussi demandé si les personnes visées faisaient l’objet d’une notification préalable et avaient le droit de se défendre.
Droit à une procédure régulière
Il en a déduit, explique-t-il, que « l’Union bafoue la liberté d’expression et le droit à une procédure régulière, même si son action part d’une bonne intention ». Le professeur Alemanno estime que la Disinformation Review tente, en réalité, de contrôler des contenus, ce qui peut avoir un effet dissuasif pour le travail journalistique, « pourtant au cœur de la démocratie ». Une menace d’autant plus pernicieuse, à ses yeux, que beaucoup de médias vivent une situation de crise et sont confrontés à des gouvernements de plus en plus hostiles.
Répondre à la crise de confiance dont les médias sont l’objet ? « Oui, répond le juriste, mais pas en violant des droits fondamentaux. Même si les idées exprimées sont parfois désagréables, honteuses, ou carrément fausses. »
Les plaignants, qui ont envoyé au médiateur un mémoire de treize pages, assimilent les pratiques actuelles des services européens à de la mauvaise gouvernance. Notamment parce qu’ils ne respecteraient pas les standards internationaux en matière de vérification des faits.
La plainte devrait, en tout cas, alimenter les réflexions de la Commission. Elle se prépare à déposer une « communication » et des « options » sur les « fake news ». Elle devrait surtout prôner l’autorégulation et en appeler au bon vouloir des différents acteurs, avec un appel à la transparence des plates-formes et à la sauvegarde de la diversité des médias.
Sanctions et responsabilité des plates-formes
Convaincant ? Pas vraiment, estime M. Alemanno, qui se dit « peu optimiste » quant à ce projet. De toutes les pistes actuellement suivies, il dit privilégier celle de l’Allemagne, qui envisage des sanctions contre les auteurs de fausses informations et pointe aussi la responsabilité des plates-formes qui les diffusent.
Le problème est, en tout cas, d’une brûlante actualité… et d’une réelle gravité, ainsi que l’a démontré un séminaire tenu mercredi à Bruxelles. Une enquête annuelle du bureau de consultants en affaires publiques Edelman, qui mesure l’état de confiance des opinions dans vingt-huit pays, indique que 62 % des Européens se disent incapables de faire la différence entre une fausse nouvelle et une vraie. Et que 64 % d’entre eux se montrent inquiets quant à l’utilisation des « fake news » comme armes.
Moins de la moitié des personnes interrogées affirme faire confiance aux médias, mais, dans le même temps, la confiance des Européens dans le journalisme traditionnel et en ligne a augmenté de sept points par rapport à 2017, tandis que la confiance dans les plates-formes (moteurs de recherche et médias sociaux) a diminué de quatre points.