Les plaidoiries au procès de Tarnac : « Il est temps de les libérer de ce fiasco ! »
Les plaidoiries au procès de Tarnac : « Il est temps de les libérer de ce fiasco ! »
Par Henri Seckel
Les avocats des prévenus ont fustigé une dernière fois les méthodes de l’antiterrorisme, et ont réclamé une relaxe générale, jeudi 29 et vendredi 30 mars. Jugement le 12 avril.
Pas sûr que les plaidoiries de la défense, qui l’ont toutes appelée à prononcer une relaxe générale, alors que le procureur avait requis jusqu’à six mois ferme, bouleverseront la réflexion de la magistrate. / PASCAL LACHENAUD / AFP
Le dernier chapitre de « l’affaire de Tarnac » est clos. Après trois semaines de procès et dix ans de procédure, on en aurait presque le vertige. Il ne reste plus à Corinne Goetzmann, la présidente de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris, qu’à rédiger l’épilogue et à le lire au moment de rendre son jugement, jeudi 12 avril.
Pas sûr que les plaidoiries de la défense, qui l’ont toutes appelée à prononcer une relaxe générale, alors que le procureur avait requis jusqu’à six mois ferme, bouleverseront la réflexion de la magistrate.
Etalées sur deux jours jeudi 29 et vendredi 30 mars, elles ont surtout été l’occasion pour les avocats des prévenus d’enfoncer le clou sur lequel ils avaient déjà passé trois semaines à taper, et de porter l’estocade contre une procédure à bout de souffle, avec l’assurance de ceux qui savent qu’ils ont dominé les débats.
La première à parler fut Me Claire Abello, pour la défense des « autres » prévenus de l’affaire : Mathieu Burnel et Benjamin Rosoux (refus de se soumettre à un prélèvement d’ADN), Bertrand Deveaud et Elsa Hauck (association de malfaiteurs, pour leur implication dans une manifestation contre un sommet européen sur l’immigration à Vichy en 2008 ayant dégénéré), et Manon Glibert et Christophe Becker (recel de cartes d’identité volées). Une plaidoirie technique, très juridique, sur un fil, le cas des deux derniers apparaissant comme le plus susceptible d’entraîner une condamnation.
« Une défense, une défiance »
Puis ce fut au tour de Me Marie Dosé. L’avocate de Yildune Lévy, virevoltante, caustique mais sans outrance, a commencé par rappeler « la genèse d’un dossier qui transpire l’instrumentalisation politique et la présomption d’innocence bafouée », et éreinter Michèle Alliot-Marie pour sa façon d’agiter, à l’époque des faits, le spectre d’un retour du « péril rouge » : « Elle s’est servie d’eux [les prévenus]. Tarnac, ce n’est pas un dossier qu’on politise, c’est une politique qu’on judiciarise. Et aujourd’hui, citée comme témoin, elle écrit au tribunal pour justifier son absence : “En tant que ministre de l’intérieur, je n’ai eu qu’une connaissance sommaire du dossier.” Quel toupet ! Mais quel toupet ! »
De quoi justifier « une défense, une défiance » des prévenus, qui est « nécessairement une résistance » : « On leur a reproché leur outrance. Mais quel autre choix avaient-ils ? On leur a reproché le recours aux médias. Mais qui a médiatisé cette affaire en premier ? On leur a dit “Cantonnez-vous à une défense normale et raisonnable”. Mais ce qu’ils ont vécu depuis dix ans est-il raisonnable ? »
Il fut ensuite question de droit pur et dur quant à la valeur du « PV 104 », pièce centrale de l’accusation que ce procès aura déchiquetée. Article 429 du code de procédure pénale, lu par Me Dosé : « Tout procès-verbal n’a de valeur probante que si son auteur a rapporté ce qu’il a constaté personnellement. » Or, des dix-huit policiers officiellement présents lors de la filature de Julien Coupat et de Yildune Lévy dans la nuit du sabotage qui leur est reproché, un seul a signé le PV. Article 430 : « Les procès-verbaux constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements. » « On est sur une valeur probante proche du néant », estime l’avocate, selon qui sa cliente et Julien Coupat ont regagné Paris tôt dans la nuit, comme l’indique un retrait bancaire à 2 h 44 à Pigalle, à une heure où les policiers disent avoir vu Yildune Lévy en Seine-et-Marne.
« Il faut que cette affaire se finisse dignement, a conclu Me Dosé. Elle a coûté assez de dignité à Yildune Lévy et aux autres. La loyauté de ces trois semaines d’audience ne réparera par les indignités. La justice doit cesser de s’enliser dans cette affaire, elle en a assez souffert. Rien ne permet de condamner Yildune Lévy et les autres prévenus. Il est temps de les libérer de ce fiasco ! »
« Pratiques déloyales »
Me Jérémie Assous discourait en dernier. L’avocat de Julien Coupat a surpris l’assistance en restant aussi sobre qu’il s’était montré éruptif tout au long du procès. « Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, a-t-il débuté, quatre crochets ont été posés sur des lignes TGV, et aucune investigation sérieuse n’a été faite pour trois d’entre eux : c’est la preuve parfaite que la justice, dans cette affaire, ne s’est jamais intéressée à la vérité. »
Tout au long de sa plaidoirie, l’avocat s’est attaché à dénoncer « les pratiques déloyales » des services de renseignement, qui n’ont de comptes à rendre à personne, mais ont abreuvé les enquêteurs d’informations ayant servi l’accusation. « Comme il faut se méfier de l’aveu qui risque d’avoir été extorqué, il faut se méfier du renseignement qui risque d’avoir été inventé », a-t-il cité.
« Dans cette affaire, il a été porté atteinte à l’honneur de la police. Je vous demande de sauvegarder celui de la justice » a lancé Me Jérémie Assous, l’avocat de Julien Coupat, à Corinne Goetzmann, la présidente de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris. / THIERRY ZOCCOLAN / AFP
Ses presque trois heures à la barre ont consisté en une ultime opération de démontage de ce PV 104 qu’il a « étudié comme un texte sacré ». Et qu’il connaît, comme tout le reste du dossier, presque « trop » bien pour parvenir à en détricoter clairement les incohérences, face à un tribunal dont trois des quatre membres — la présidente fait exception — n’ont par définition pas lu le dossier.
« Ce que vous allez devoir juger, ce ne sont pas que des faits, ce sont aussi des méthodes, avait-il dit à Corinne Goetzmann en introduction. En conclusion : « A l’heure où les libertés publiques se réduisent comme peau de chagrin, la question à laquelle vous devrez répondre est la suivante : est-ce que vous validez ces méthodes ? En refusant de les sanctionner, vous les encouragerez. Dans cette affaire, il a été porté atteinte à l’honneur de la police. Je vous demande de sauvegarder celui de la justice. »